Elle n’était pas née à Poitiers, mais elle y avait grandi et passé son bac au Lycée de Jeunes Filles (enclasse de philosophie d’abord, en 1930 – puis en classe de mathématiques, l’année suivante). Elle obtint une licence de chimie générale à la faculté des sciences. Elle revint souvent dans la belle maison familiale de La Mérigote, à l’écart de la ville d’où son père, Jean-Richard Bloch, professeur, écrivain et journaliste se rendait à bicyclette pour dispenser ses cours.
En 1939, à l’occasion du mariage de Claude, sa jeune sœur, avec le poète républicain espagnol Arturo Serrano Plaja, le cortège nuptial buta sur une grande porte close en arrivant à la mairie : le passage par l’arrière-cour pouvait bien suffire à ces gens dont beaucoup, de surcroît, portaient des noms juifs ! En 2013, les portraits de France Bloch et Frédo Sérazin ornent la façade récemment restaurée de l’édifice. Deux bannières de 2m 50 de large et 5m 50 de haut descendent des étages et annoncent la tenue à Poitiers d’un « hommage-anniversaire à une Poitevine dans la Résistance : France Bloch-Sérazin, février 1913 / février 1943 ». (1)
Très tôt engagée dans les luttes antifascistes des années 30, France Bloch avait fait la connaissance de Frédo Sérazin, tourneur dans l’industrie automobile, militant syndicaliste et communiste. Ils se marièrent en mai 1939. Leur fils Roland naquit en janvier 1940 ; soixante-treize ans plus tard, il est à Poitiers accompagné de son épouse, de sa sœur Eliane (fille de Frédo) et de leurs enfants. Ensemble, ils participent à toutes les rencontres organisées à l’initiative de Roland Sérazin et pilotées par Alain Quella-Villéger, écrivain et historien enseignant au Lycée Victor Hugo de la ville.
L’hommage poitevin de février 2013 a pris de multiples formes selon les lieux : exposition modeste et émouvante d’objets et documents familiaux disposés sous vitrines à l’Hôtel de ville ; interventions en milieu scolaire (Collège France-Bloch-Sérazin et Lycée Victor Hugo) ; rencontre-débat à la Médiathèque François Mitterrand, autour du film « France Bloch, Frédo Sérazin, un couple en résistance » (2),de Marie Cristiani, présente elle aussi ce jour-là ; série d’articles dans la presse régionale (Nouvelle République et Centre-Presse) ; diffusion par FR 3 Poitou-Charentes d’informations ou reportages et reprise, sur la chaîne, en milieu d’après-midi, du film évoqué ci-dessus : utiles pages d’Histoire et tragique histoire des amours exemplaires de deux amants et de leurs enfants que la guerre brisa ; enfin, hommage officiel à l’Hôtel de ville.
Au collège, dans le cadre d’un projet engagé depuis septembre sur le nécessaire travail de mémoire, deux classes de troisième ont lu les dernières lettres de France. Y firent écho des messages de collégiennes et collégiens symboliquement adressés à la jeune Résistante. Et s’ouvrit, avec Roland Sérazin, un débat sur l’engagement. En mai : point final, avec la visite du camp du Struthof, où sera fleurie la tombe de France.
Au lycée, 12 classes de seconde ont visionné et discuté le film de Marie Cristiani avant de suivre la mise en espace, par le club Théâtre de l’établissement, d’une partie de l’interrogatoire subi par France après son arrestation par la police de Pétain. Lectures, chorégraphies et « Chant des Partisans » ponctuèrent la rencontre.
J.C.
(1) Dans le n° 228 de ce journal (1er trimestre 2009), Roland Sérazin retrace les biographies de ses parents.
(2) Le film de Marie Cristiani, en coffret DVD + cédérom Mac/PC + livret de 63 pages est en vente (25€) dans le réseau national des CRDP (Centres régionaux de documentation pédagogique) – Titre : « France Bloch, Frédo Sérazin, un couple en Résistance » – référence : 860VD011.
Sa dernière lettre
À la prison de Hambourg, France Bloch-Sérazin était classée « Nacht und Nebel » (Nuit et Brouillard) ; en conséquence, aucune trace d’elle ne devait subsister, aucune. Sachant que les autorités nazies détruiraient tous ses courriers, l’une de ses gardiennes, Friede Sommer, a recopié et dissimulé deux de ses dernières lettres. Ces documents ont été transmis à Marguerite et Jean Richard Bloch à l’été 1945, une fois la guerre achevée.
Frédo était mort, à Saint-Etienne, en juin 1944, assassiné par la Gestapo, il n’a donc jamais lu « sa » lettre.
« Mon Frédo,
Cette lettre est la dernière que tu recevras de moi. Ce soir, à 9 heures, je vais être exécutée. J’ai été condamnée à mort le 30 septembre. Mon recours en grâce a été refusé par le Führer du 3è Reich. Je vais mourir comme tant d’autres sont tombés depuis des mois.
Tu ne m’as donné que du bonheur, j’étais fière de toi, fière de notre union, fière de notre si profond accord, fière de notre cher amour de Roland.
J’ai vécu tous les mois à la Santé en contact quotidien avec Raymond (1), ton frère. Je serai digne de lui, de toi, de nous, dans quelques heures. Je ne veux pas m’attendrir, Frédo, tu comprends, je ne le dois pas.
Je meurs pour ce pourquoi nous avons lutté, j’ai lutté ; tu sais comme moi que je n’aurais pas pu agir autrement que je n’ai agi : on ne se change pas.
Reste beaucoup, beaucoup en contact avec papa et maman, avec tous les miens, je te le demande. Raymond m’avait confié Louisette, il faut veiller sur elle – vois Marie-Elisa, Marianne, Michel, Jacqueline, tous, Fernand, Lisette, Francis, Laurence, Monette et Francis, Richard, Maurice, Jean-Louis. Cylo a partagé ma captivité en Allemagne ; elle te donnera des renseignements sur notre vie.
Mon amour, sois très très courageux, autant que moi, autant que notre amour était fort, était solide, était vrai. Qu’Eliane et Roland soient très très heureux. Et toi, mon amour, tu sais que je suis à toi.
J’embrasse une dernière fois ta mère qui aura de la peine et aussi Paulette, Alexandre, toute la famille.
Ta France à toi. »
(1) Raymond Losserand : conseiller municipal du 14ème arrondissement, avec lequel France avait été jugée.
(Source de la copie ci-dessus : une plaquette éditée, sans date, par « L’Union des Femmes Françaises » dans sa collection « Héroïnes d’hier et d’aujourd’hui »)