Deux récapitulatifs permettent de faire le point sur les massacres de 1940 à 1944. le dictionnaire des fusillés répertorie les lieux de massacres et Wikipédia est un éphéméride. Ces deux sources sont complémentaires. Les lieux sont répertoriés par date dans la base Wikipédia et par départements dans le Maitron. Leur comparaison montre qu’il reste encore beaucoup à faire pour avoir un inventaire complet.

Par exemple, en plus des omissions que nous pouvons relever, la comparaison sur un département, l’Aisne répertorie 28 lieux d’exécutions pour le dictionnaire. Seulement 3 figurent dans la base Wikipédia. Au total, plus de 600 lieux sont retenus par le dictionnaire et un peu plus de 300 par Wikipédia. Plus de 80% ont lieu en 1944, surtout de mai à septembre. Chronologiquement on distingue plusieurs périodes : en mai-juin 1940, les massacres accompagnent l’invasion, en 1941 et 1942, la répression « légale » domine. À partir de février 1943, c’est a montée en puissance de la lutte contre les maquis et des massacres de civils jusqu’en mai-juin 1944, mois des grandes représailles civiles et d’évacuation des prisons. En 1940, une trentaine de massacres sont répertoriés en mai et juin (voir Châteaubriant n° 270 d’octobre 2019) dont une vingtaine de massacres de civils et une dizaine de massacres de prisonniers. Parmi les prisonniers, près de 3000 font partie des troupes « coloniales » nord-africaines et africaines illustration du racisme des nazis. En 1941 et 1942, ce sont les fusillades d’otage et de condamnés à mort par les tribunaux militaires allemands. Début 1943, apparaissent en parallèle avec la répression « légale » les premiers massacres de civils comme celui de Ballsdorf (Haut-Rhin), une vingtaine d’hommes n’ayant pas répondu à l’incorporation dans la Wehrmacht. En août 1943, les premiers massacres de maquisards souvent accompagnés de massacres de civils, comme en septembre au bois du Thuraud (Creuse). De plus, comme au bois Thuraud des déportations complètent les massacres, ici sept maquisards et deux paysans dont seulement trois survivants.

PLUS DE 80% DES MASSACRES EN 1944

C’est en 1944 que la répression prend de l’ampleur, surtout à partir du mois de mai. Sur les 692 massacres répertoriés du dictionnaire Maitron, 611 (87%) ont lieu en 1944. Sur les 331 dates de Wikipédia, 272 (81%) sont en 1944. Parmi ceux-ci, on en dénombre 170 à partir du mois de mai. Cette forte proportion s’explique par la lutte intensifiée contre les maquis, le débarquement, la retraite des troupes allemandes et aussi par l’impunité des massacreurs. Le décret du maréchal Hugo Speerle de l’OBW (Haut commandement de l’Ouest) du 3 février 1944 sur la lutte contre le terrorisme en France et en Belgique donne une marge de manoeuvre aux militaires qui peuvent agir sans en référer aux autorités territoriales compétentes. Dans les zones de maquis, l’armée allemande peut procéder à leur encerclement, arrêter les populations, incendier les maisons. Le 12 février 1944, la directive adoptée par le MbF (Haut commandement en France) précise que les personnes susceptibles de soutenir les terroristes doivent être remises aux SD (police) qui peut les déporter. Cette mesure peut être étendue à l’ensemble de la population masculine du secteur si la situation l’exige. Le 4 mars, le maréchal Keitel de l’OKW (Haut Commandement de l’armée allemande) stipule que toutes les agressions commises contre les membres de la Wehrmacht ou leurs installations seront considérées comme des actes de « franc-tireur » et que leurs auteurs seront abattus sur-le-champ. Du milieu 1943 à août 1944, c’est la période des massacres de représailles de civils, d’anéantissement des maquis souvent accompagnés de massacres de civils et de déportations, d’évacuation des prisons .
Les liquidations de maquis les plus connues sont celles des Glières (Haute-Savoie) en mars ; du Vercors (Drome), fin juillet, du Mont Mouchet (Cantal, voir photo page 7) début juin, de Saint-Marcel (Morbihan) en juin. Ils ne sont pas seuls… On peut aussi citer en 1943 Malarce-sur-Thines (Ardèche) le 4 août 1943, le bois Thouraud (Corrèze) le 7 septembre, Camarde (Ariège) le 17 novembre ; Hébère-Lullin (Haute-Savoie) le 25 décembre.
En 1944 Ils sont trop nombreux pour être tous cités. À signaler cependant quelques-uns des plus importants : Malleval (Isère) le 29 janvier, Beyssenac (Corrèze) le 16 février, Fouesnant (Finistère) le 15 mai, Lantilly (Côte-d’or)le 25 mai, Janaillat (Creuse) le 9 juin, Villiers-le-duc (Côte-d’Or) le 10 juin, Valréas (Vaucluse) le 12 juin, Revin (Ardennes) le 13 juin, Saint-Sauvant (Vienne) le 27 juin, l’Hermitage-Lorge (Cotes d’Armor) le 14 juillet, Signes (Var) le 18 juillet, Saint-Germain-d’Esteuil (Gironde) le 25 juillet, Grotte de la Luire (Drome) le 27 juillet, Saligney (Jura) le 27 juillet, Pleubian (Côtes d’Armor) le 7 août, cascade du Bois de Boulogne le 16 août, Autun ( Saône-et-Loire) le 8 septembre, Magny-Danigon (Haute-Saône ) le 18 septembre.
Les grands massacres de civils ont lieu à Asq (Nord) début avril, Tulle (Corrèze) le 9 juin, Oradour (Haute Vienne) le 10 juin, Maillé le 24 août. Ces massacres de masse, les plus connus ne sont pas les seuls, parmi d’autres avec plus de 50 morts, on peut citer Issendolus (Lot) le 8 juin, Bagnères-de-Bigorre et alentours (Hautes-Pyrénées ) le 10 et 11 juin, le Mont Mouchet (Haute-Loire) le 10 et 11 juin, Mussidan (Dordogne) le 11 juin, Vassieux-en-Vercors (Drome) le 21 juillet, Bron (Rhône) le 21 juillet, Buchères (Aube) le 24 juillet, la vallée de la Saux (Meuse) le 29 août …
À cette liste s’ajoutent de nombreux massacres avec moins de victimes qu’il est impossible de tous les citer tant ils sont nombreux.
Les massacres « ciblés » des prisons, des militaires, des juifs sont aussi très nombreux. Pour les prisons, ils commencent le 6 juin 1944 par l’exécution des 87 prisonniers de la prison départementale de Caen. Les autres prisons concernées par les exécutions et les déportations sont celles de la région parisienne (Fresnes, camp de Romainville), de Lyon (Montluc), Périgueux, Limoges, Eysses, Troyes, Lille, Béthune, Valenciennes… Parmi les exécutés des prisons, de nombreux juifs qui ont aussi fait l’objet d’autres massacres ciblés. Dans la répression, les Allemands demandaient aux maires les listes de juifs, de communistes et de « terroristes ». Les juifs, seuls répertoriés, ont été arrêtés et massacrés, notamment en Dordogne et dans le Cher (Puits de Guerry). Enfin, les militaires anglais et français venus en appui des maquis ont aussi fait l’objet de massacres ciblés comme les 31 de Saint Sauvant (Vienne) le 7 juillet 1944, les 6 de Plumelec (Morbihan) le 12 juillet. Comme les prisonniers des troupes régulières, 7 parachutistes américains à Hemenez (Manche) le 6 juin 1944 ou les 18 canadiens de l’Abbaye d’Ardenne (Calvados)…
À l’origine de ces massacres des maquis et des civils, souvent des dénonciations et des bavardages incontrôlés ainsi que la recherche de renseignements par la torture et parfois des imprudences. Les massacreurs sont les troupes allemandes appuyées dans de nombreux cas par les unités françaises de la milice. Parmi eux, les troupes «d’élite » nazies, divisions SS Topenkopf, Das Reich, Hitlerjuglend, les troupes spécialisées dans la lutte contre les maquis, division Brenner, colonne Jesser, division Brandebourg et de nombreuses unités « ordinaires » de la Wehrmacht.
Mais aussi les militaires de l’Etat de Vichy, milice et GMR. Ce sont des crimes de guerre qui ont été jugés après la guerre. Ces jugements n’ont souvent pas permis de châtier les responsables comme par exemple pour les crimes les plus emblématiques. Oradour, Maillé, Asq. Malgré de nombreuses manifestations et protestations notamment des associations de résistance et de familles.
Les massacres de représailles de civils ont eu lieu de 1940 à 1945 avec une accalmie de juin 1940 à fin 1943. Pendant une grande partie de ces périodes, c’est la déportation qui a été avec les fusillades « légales » d’otages et de condamnés par les tribunaux. Ils sont estimés à 15 à 20 000 victimes. C’est quatre fois plus que le nombre de fusillés.
Au terme de cette description, on doit conclure que les inventaires de Wikipédia et du dictionnaire des fusillés en cours d’élaboration sont encore incomplets. Par exemple, le dictionnaire des fusillés le plus complet qui recense près de 700 lieux d’exécution classés par départements n’a aucun site de 7 départements (Corse, Eure et Loir, Landes, Haute-Saône, Sarthe, Vosges, Essonne) et peu de sites d’une trentaine d’autres. C’est dire qu’il reste encore à faire et que nos adhérents peuvent contribuer à l’amélioration de ces inventaires. Pour notre association, c’est aussi le constat que nous avons peu d’adhérents, familles de victimes de ces massacres.
Jean DARRACQ