En ce quatre vingtième anniversaire des répressions de 1941, on peut qualifier cette année comme « l’année des otages ». C’est plus du quart des otages de 1940 à 1944 qui ont été fusillés d’août à décembre. À ceux-là, il faut naturellement rajouter les fusillés exécutés condamnés par les tribunaux, moins de 200. C’est aussi l’occasion de se souvenir qu’au plan national, trois exécutions de soldats allemands et une série d’actions ont été suivis de fusillades d’otages. Chacune de ces fusillades a son histoire.

LES FUSILLADES

L’exécution de l’aspirant de marine Moser par Gilbert Brunstein et Pierre Georges, le futur colonel Fabien, au métro Barbès, le 21 août, est suivie à la demande des Allemands du guillotinage de six otages condamnés à mort par la Section spéciale de la Seine et le Tribunal d’État. Deux juridictions «spéciales» créées par le régime de Vichy. La Section spéciale en «gestation» dès juillet a pour objectif de juger les «menées communistes ou anarchistes» avec une procédure accelérée pouvant conduire à la peine de mort. Pour permettre ces condamnations rapidement, la loi du 23 août 1941 peut avoir un effet rétroactif, monstruosité juridique qui permet de juger de nouveau des personnes déjà jugées. Le 27 août, André Brechet, Emile Bastard, Abraham Trezbucki sont condamnés à mort et guillotinés le 28  août. Après ces trois otages, les juges ont refusé d’autres condamnations à mort. Vichy crée le Tribunal d’État le 9 septembre, encore plus répressif. Il condamne à mort trois nouveaux otages pour répondre aux désirs des Allemands. Le député Jean Catelas, Jacques Woog et Adolphe Guyot. Tous ces otages guillotinés sans avoir vu un Allemand sont communistes.
L’exécution du Feldkommandant Fritz Holz à Nantes par Gilbert Brunstein le 20 octobre se traduit par la fusillade de 48 otages en conformité avec le «code des otages» de Von Stüpnagel, publié 28 septembre. Ce «code des otages» définit avec précision le choix des otages. Ces fusillades ont lieu à Châteaubriant, Nantes et au Mont Valérien. Les 27 otages de Châteaubriant sont en grande majorité des responsables communistes et syndicalistes du camp de Choisel. Les 16 otages extraits de la prison de Nantes sont des résistants gaullistes, communistes ou sans attache partisane connue, emprisonnés pour des faits de résistance, notamment l’aide à l’évasion de prisonniers. Parmi eux, des responsables d’associations d’anciens combattants. Ces 16 otages représentent la tradition allemande de choix d’otages parmi des personalités civiles. Les cinq otages extraits du fort de Romainville sont tous nantais et ont été jugés à Nantes. Le régime de Vichy, après avoir choisi les 27 otages du camp de Choisel, essaye d’infléchir les Allemands et de remplacer les 16 de Nantes parce que ce sont de « bons français » par des communistes, particulièrement les trois responsables d’organisations d’anciens combattants.
L’exécution du conseiller militaire Reiners par Pierre Rebière, le 24 octobre, à Bordeaux, entraîne la fusillade de 50 otages au camp de Souge. 35 sont extraits du camp de Mérignac et 15 du fort du Hâ. Ce sont majoritairement des commuistes internés, parfois depuis plusieurs mois. Les autres sont des gaullistes et des patriotes qui trentent de franchir la frontière avec l’Espagne.
Les attentats contre les troupes et installations militaires allemandes en région parisienne de novembre et décembre conduisent à l’exécution de 95 otages le 15 décembre. Ils sont fusillés au Mont Valérien (69), à Caen (13) à La Blisière près de Châteaubriant (9) et à Fontevraud (4). Cette éxécution, la plus massive du 4e trimestre est complétée par une amende à payer par les juifs parisiens et la déportation de 1 000 juifs et 500 communistes « à l’ Est ». L’introduction de la déportation dans la politique des otages est un tournant dans la répression comme l’exécution de 54 juifs en majorité communistes extraits du camp de Drancy.
Les Allemands veulent à la fois informer les Français pour les dissuader d’entrer en Résistance et éviter que les otages soient honorés comme des martyrs. Toutes les fusillades sont annoncées par des avis. Les guillotinés et les fusillés de Nantes sont mentionnés par leurs identités dans la presse alors que ceux du 15 décembre ne le sont pas. Les lieux d’inhumations et les identités des victimes sont cachées. Par exemple, les fusillés de Souge sont tous enterrés sur place, ceux du 15 décembre au Mont Valérien sont disséminés dans des cimetières proches de la citadelle dans des tombes anonymes.

LES RÉACTIONS

Les réactions à ces fusillades d’otages sont nombreuses, surtout après les fusillades d’octobre.
La population est traumatisée par ces exécutions et, contrairement aux espoirs allemands, les engagements dans la Résistance se multiplient. Par exemple, à Caen alors que les exécutions ne sont pas rendues publiques et des tombes anonymes sont espacées les unes des autres dans deux cimetières , la population est venue les fleurir.
Le général de Gaulle, le 25 octobre, désapprouve les éxécutions, mais rajoute que les Allemands exécutés n’avaient pas à être là. Il demande une grève symbolique le 31 octobre et décerne à la ville de Nantes le titre de Compagnon de la Libération le 11 novembre. La condamnation des exécutions par de Gaulle explique que les Allemands choisissent peu d’otages « gaullistes », alors que la répression et les fusillades des membres des réseaux sont impitoyables.
Le parti communiste, dont la grande majorité des otages est issu, multiplie les informations dans sa presse clandestine, diffuse les dernières lettres dans l’entourage des fusillés. Les 27 otages de Châteaubriant, responsables communistes et syndicaux, Guy Mocquet, les députés Jean Catelas, Charles Michels, Gabriel Péri, le secrétaire général de L’Humanité, Lucien Sampaix, tous fusillés en 1941 restent des symboles de la Résistance communiste. Enfin, Aragon écrit à la demande de Jacques Duclos Le « témoin des martyrs » sur les exécutions de Châteaubriant et complète ce récit par des lettres des fusillés de Caen. Ce récit, parvenu à Londres début 1942, est lu par de nombreuses radios et diffusé.
Winston Churchill et Franklin Roosvelt font des déclarations fin octobre qui sont larguées sur la France entre le 30 octobre et le 4 novembre 1941. Il faut souligner que la déclaration de Roosevelt est faite avant l’entrée en guerre des États-Unis, en décembre.
Les Allemands et le régime de Vichy réagissent aussi ; Otto Von Stülpnagel, commandant des troupes de la Wehrmacht pour la France , en faisant le bilan des fusillades d’otages de 1941, souligne qu’elles n’atteignent pas leurs buts de décourager l’engagement dans la résistance. Il propose de prendre la responsabilité de la répression et de l’adoucir même s’il admet pouvoir recourir à des fusillades de masse. Devant le refus du Maréchal Keitel et de Hitler, il démissionne de son poste début 1942. La répression est transférée de l’armée à la police qui refera le même constat fin 1942 après de nouvelles fusillades de masse à l’été 1942. Elles cessent jusqu’à octobre 1943.
Pétain, après avoir fait guillotiner 6 otages en août et septembre 1941 et collaboré avec les nazis pour les exécutions d’octobre, décide le 25 octobre de ne plus mêler le régime de Vichy aux représailles allemandes. Fin octobre, ébranlé par le choix des anciens combattants à Nantes, il a eu la vélléité sans suite de se constituer prisonnier sur la ligne de démarcation à Montluçon. Au-delà de ces protestations platoniques, il est peu intervenu lorsque les Allemands ont puisé dans les prisons les condamnés des Sections spéciales et les résistants qui leur ont été livrés par sa police.
À ces otages guillotinés et des fusillades de masse, il faut ajouter les otages de la zone Nord rattachée à Bruxelles et les otages fusillés après d’autres attentats. Par exemple, dans la région parisienne : le 8 septembre, trois otages pour l’attentat contre le sergent Hoffman, le 18 septembre, 10 otages pour l’attentat contre le marin Denecke et le Trésorier général Knop, le 20 septembre 14 otages après l’attentat contre le capitaine Scheben. A Lille, 25 otages ont été exécutés le 15 et le 28 septembre après l’attentat contre un train.
C’est près de 250 otages qui ont été fusillés en 1941, en cinq mois, plus du quart de otages exécutés de 1941 à 1944. Les statistiques des archives de Vichy recensent 154 communistes non juifs, 56 juifs dont une majorité de communistes, 17 gaullistes, quatre reconnus coupables de violence contre les soldats, cinq pour détention illégale d’armes. La « politique des otages » est un échec, constaté à deux reprises d’abord par la Wehrmacht en fin 1941, puis par la police à l’été 1942. .
Jean DARRACQ