Hommage aux 45 fusillés de Belle-Beille (Angers)

Les cérémonies commémoratives comme celle que nous partageons ce matin n’ont de sens que lorsqu’elles sont orientées vers la jeunesse, portées par la jeunesse.
A travers les programmes qu’ils enseignent, les professeurs sont les mieux placés pour transmettre les valeurs républicaines mais aussi pour déceler les dérives qu’elles soient idéologiques ou religieuses.
Plusieurs d’entre-eux sont présents ce matin avec leurs élèves bien que nous soyons en période de vacances scolaires. Qu’ils soient remerciés pour l’importance qu’ils accordent à notre histoire, particulièrement celle de la Résistance et de la Déportation. Chaque année, avec reconnaissance et fidélité, nous venons donc ici pour rendre hommage aux fusillés de Belle-Beille.
Ces hommes pour la plupart très jeunes n’avaient probablement jamais imaginé mourir en héros. Mais il y eut cette seconde guerre mondiale qui ne ressemblait aux autres ni dans son déroulement ni dans ses conséquences.
A partir de 1942, dans notre pays occupé, des anonymes, des Français ordinaires, ulcérés d’être au quotidien épiés, soupçonnés, méprisés, des hommes, portés par une détermination fulgurante d’opposition, ont trouvé en eux la force d’affronter les oppresseurs. Ils ne supportaient plus les humiliations, les privations, les restrictions, les contrôles d’identité, les drapeaux nazis au fronton de nos édifices, pas plus que cette furie paranoïaque, cette abjection frénétique, obsessionnelle : la haine des juifs.
Ces Français patriotes n’en pouvaient plus de supporter l’occupant parvenu à l’excellence dans la pratique du pillage, dans l’art de la domination. Ils n’en pouvaient plus de devoir sans cesse parler bas, étouffer leurs convictions, quémander une autorisation, baisser le volume de leur radio, camoufler leurs lumières, obscurcir leurs fenêtres, se méfier des voisins, descendre d’un trottoir pour laisser passer les vainqueurs. De toutes ces frustrations sont nés leur courage et leur audace.
Ils n’avaient pas d’armes ni de fortune mais une volonté farouche de bouter les oppresseurs hors de France. Ils avaient tout simplement leur amour propre et le sens du devoir. Ils ne reconnaissaient plus la France indépendante, équitable, fraternelle qu’on leur avait enseignée : celle de l’esprit des lumières, celle de Victor Hugo, le pays des Droits de l’homme
D’ailleurs quels droits leur restait-il ? Où étaient passés, le respect de l’autre et de sa différence, la liberté, l’égalité, la fraternité qui préconisent le droit d’asile, le droit de s’exprimer, de penser, de se déplacer. Le droit de vivre tout simplement  ! Ils ne reconnaissaient plus les rues de leurs villes sans les statues déboulonnées par les occupants pour forger leurs canons. Ils détestaient le bruit de leurs bottes dans les rues, celui assourdissant et narquois de leur fanfare sous les kiosques de nos jardins publics.
Alors, dans un trop plein d’angoisse et de chagrin, chacun d’eux a choisi d’agir. Chacun d’eux, ulcéré par l’arrogance des nazis a décidé de «résister ». Permettez-moi d’emprunter à Mark Twain cette très belle formule : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ! »
Ils ont fait comme ils ont pu : arraché des affiches, distribué des tracts, saboté des voitures allemandes, des locomotives, déboulonné des rails, renversé un kiosque de presse allemande, incendié un dépôt de paille, dérobé des tampons dans les mairies, fabriqué des faux papiers, caché des fugitifs.
Et c’est pour cela, pour leur patriotisme, que les uns après les autres, ils ont été arrêtés, emprisonnés, interrogés, torturés. Entre 1942 et 1944, les fusillés de Belle-Beille sont tous descendus d’un camion, les mains liées derrière le dos. Ils ont été attachés un par un au poteau. Presque tous ont refusé d’avoir les yeux bandés.
Ces hommes-là, n’ont reçu pour leur sacrifice ni titre ni ruban. L’honneur pour eux ne tenait pas dans une médaille. L’honneur tenait dans les actes et dans le mobile de leurs actes.
Leur sacrifice était énorme, le cadeau qu’ils nous ont fait somptueux. Ils nous ont gagné 75  ans de Paix ! Mais ils nous ont surtout donné un exemple bouleversant de civisme et de citoyenneté. Les oublier serait un déni.
Alors, tous les ans nous venons ici saluer leur bravoure, parce qu’il serait impossible pour des Angevins, de passer indifférents près de cet étang, de vivre inconscients, oublieux de leur histoire, de notre histoire : celle de la France, celle du pays de la Liberté !
Hélène Cabrillac

Article paru dans Chateaubriant N°273