En 1940, les communes de Clichy, Courbevoie et Argenteuil où vivent les protagonistes de notre histoire se trouvent dans les anciens départements de la Seine et de la Seine-et-Oise.
À partir de 1964, Courbevoie et Clichy sont dans les Hauts-de-Seine. Argenteuil est la sous-préfecture du Val-d’Oise.Gabriel Péri, journaliste à L’Humanité, en charge de la politique internationale et membre du Comité central, en est le député de 1932 à 1940.
Cette famille de Clichy-Courbevoie et le député d’Argenteuil sont contemporains et acteurs d’importans moments historiques :
• La naissance du Parti Communiste en décembre 1920
• Le Front Populaire et sa victoire du dimanche 3 mai 1936
• Le Pacte germano-soviétique et sa signature le mercredi 23 août 1939
• L’interdiction de leur parti en 1939, puis, par la suite la défaite et la trahison.
• La République à terre.
• La Résistance. Et quelle Résistance !
Nous avons gardé le souvenir de cette belle famille.« Guérin-Jean » unie par les liens des mariages, la fidélité à la classe ouvrière et à la Patrie profanée. Une famille ouvrière, engagée, solidaire et combative.
La mère, née Marthe Guérin le lundi 8 août 1910. Sa onzième année commence avec le Congrès de Tours en décembre 1920. Un Congrès qui va accompagner Marthe toute sa vie.
La famille de Marthe compte onze enfants : le père, ouvrier agricole et la mère, femme de ménage chez les voisins les plus fortunés, ont bien du mal à joindre les deux bouts en fin de mois.
Toute jeune, Marthe aide sa mère pour surveiller ses frères et soeurs au détriment de sa scolarité. Bientôt placée comme bonne dans une famille bourgeoise où une tante, soeur de sa mère, est cuisinière. Marthe est âgée de vingt ans quand elle fait connaissance de Roger, au bal du Trianon (Métro Anvers). Roger Jean est né le mercredi 15 avril 1908. En 1933, il est ajusteur à la STCRP (Société des Transports en Commun de la Région Parisienne qui deviendra la RATP à la Libération). Ils se marient et Marthe Jean s’en va travailler à Courbevoie, à l’usine de métallurgie Martini.

ENGAGÉS AVANT LA GUERRE

Tous deux s’engagent au syndicat CGTU pour la justice, la dignité, le progrès social, l’unité et la paix, face à la montée des fascismes et du nazisme aux frontières de la France. Roger rejoint le Parti Communiste en 1934. Leur fils, Philippe, naît le dimanche 20 mai 1934. En 1936, tous deux, Marthe et Roger, prennent part aux grandes grèves. Dans la nuit du 7 au 8 juin 1936, sous la présidence du Conseil de Léon Blum, de la Confédération Générale de la Production Française (CGPF), la CGT réunifiée et l’État, sont signés les accords dits de Matignon qui portent la victoire de multiples revendications :
• Les quarante heures de travail hebdomadaire
• Les libertés syndicales
• Les élections de délégués du personnel
• Les augmentations de salaires
• Les congés payés, les principales réformes exigées par la classe ouvrière.
Si la famille Jean va au-devant de la vie, de la vie qui est plus belle, l’embellie sera courte, et la suite cruelle. Novembre 1938, fin des quarante heures et de la semaine de travail de cinq jours.
Marthe et Roger vont découvrir les vacances, le camping pour la première fois de leur vie, et dans le pays, une chanson accompagne les congés payés :

«Ma Blonde, entends-tu dans la ville
Siffler les fabriques et les trains ?
Allons au-devant de la vie
Allons au-devant du matin
Debout ma Blonde
Debout Amie,
Il va vers le soleil levant
Notre pays.»

Après l’annexion de l’Autriche, l’Allemagne va démanteler la Tchéchoslovaquie, ensuite elle avance ses revendications sur Dantzig. C’est la guerre qui se profile. La mobilisation générale est affichée le samedi 2 septembre 1939. Le mardi 26 septembre 1939, le Parti Communiste est dissous pour son soutien au pacte germano-soviétique. Malgré le vote des crédits de guerre par les députés communiste, ses militants sont pourchassés, internés, ses journaux interdits. Ses parlementaires, pour certains, rentrent en clandestinité, comme les militants les plus connus. La police est prête depuis longtemps et les fichiers (listes de militants) créés pour cela lement. La répression sera cruelle. Sans la police française et ses fichiers, la répression allemande contre la Résistance n’aurait pas eu la même efficacité.
Au 1er mars 1940, 10 550 perquisitions, 3 400 arrestations, 489 internés administratifs, 100 condamnés par les tribunaux dont 14 condamnations à mort en avril et mai, 160 internés de plus.

Une famille dans la clandestinité
et la Résistance

Les Allemands sont à Paris depuis le vendredi 14 juin 1940, la police française est à leur botte des Allemandes et de leurs exigences, disposition du gouvernement de Vichy, et les militants communistes subissent l’intensification de la répression.
Cette résistance commence au coeur de Clichy-la-Garenne, au 79 rue du Bois (aujourd’hui rue Henri-Barbusse). Avant guerre, la rue se nommait Henri-Barbusse, le gouvernement de Vichy l’a changée en rue du Bois, elle retrouva son nom d’origine à la Libération. C’est là que vit Marthe, alors âgée de trente ans. Roger, son mari, sous les drapeaux, ne sera démobilisé que fin décembre 1940, son fils de six ans, Philippe, est en préventorium, Marthe travaille durement… Clichy-Courbevoie à vélo, aller-retour. Elle va assurer l’hébergement d’un homme recherché par toutes les polices. Gabriel Péri, le député d’Argenteuil, le journaliste de la politique internationale du journal L’Humanité, clandestin depuis août 1939, va passer trois mois « à l’abri ». C’est le vendredi 19 juillet 1940, Roger Guérin, frère de Marthe, et son épouse Rose, tous deux déjà clandestins, installent chez Marthe une ronéo et une machine à écrire, lui expliquant : «Comme tu es toute la journée à l’usine, Rose sera au calme pour taper les stencils ! ». Un soir, Marthe, de retour du travail, croise son frère dans l’escalier, accompagné de Fosco Foccardi et Jean Baillet qui emportent les machines. Fosco Foccardi, du groupe FTPF Valmy qui, plus tard, fera sauter les pylônes du poste émetteur radio de l’armée allemande à Sainte-Assise (le livre de Jean Laffitte, éditions La Farandole : Nous retournerons cueillir les jonquilles. Rose Guérin était agent de liaison de ce groupe). Mais ce soir du vendredi 19 juillet 1940, Roger Guérin dit à sa soeur : « Maintenant, Marthe, tu ne bouges pas de chez toi parce qu’on va t’amener un nourrisson.» Deux heures plus tard, un couple se présente à la porte avec ce simple échange verbal : « J’ai reconnu l’homme tout de suite et une fois la femme partie, je lui demande « Qu’est-ce que je pourrais vous offrir ? ». La réponse a été « J’aimerais bien me laver les mains et boire un verre d’eau ». Dans la cuisine, Marthe ne peut retenir sa surprise en le regardant de nouveau, avant de s’exclamer : «Gabriel Péri !». «Oh, il ne faut pas dire cela, c’est dangereux» répond-il avant de souhaiter connaître ce qu’on lui a dit sur son arrivée. Marthe répond : « Rien ! Simplement qu’ils allaient me confier un nourrisson ». Gabriel Péri va rire de cette définition, puis Marthe lui sert à dîner. Il mange rapidement, épuisé et demande à pouvoir dormir. Marthe a exigé qu’il utilise la seule chambre du petit logement, elle dormira dans le petit lit pliant de Philippe, déployé chaque soir et plié dès le matin dans le « séjour ». Péri a dû accepter car Marthe est restée inflexible. Marthe va faire la cuisine, la lessive, les courses avec les files d’attente et les tickets d’alimentation que les clandestins ne peuvent se procurer. Ce jour-là, commenceront trois mois de vie clandestine d’une ouvrière et d’un journaliste recherché par toutes les polices. Marthe rentre de plain-pied dans la Résistance et ses terribles dangers.
Dans le Clichy de juillet 1940, le Clichy où le Front Populaire a élu un maire communiste et connu le succès et affrontements mortels le mardi 16 mars 1937, la police tire sur les ouvriers qui protestent contre le rassemblement des fascistes au cinéma l’Olympia, rue de l’Union, derrière l’Hôtel de Ville. Lorsque l’on est connu autant que Gabriel Péri dans la région parisienne occupée par une armée étrangère, une France coupée en deux, livrée aux nazis d’un côté et au régime de Vichy de l’autre. L’horreur est égale sur l’ensemble du pays. Marthe fait également l’agent de liaison, emportant les manuscrits de Péri. Ces manuscrits sont des textes pour L’Humanité où des tracts qui appellent à la lutte contre l’occupant. Premier maillon d’une chaîne qui passait de mains en mains jusqu’à l’imprimerie clandestine, souvent une ronéo. Tous les matins, Marthe partait encore plus tôt le matin afin d’être à l’heure à l’usine et ses dix à onze heures de machine. Elle assure la liaison entre Gabriel Péri et la Résistance, entre le journaliste communiste et L’Humanité clandestine, entre Juliette Fajon et Gabriel Péri. Étienne Fajon, député communiste de la Seine est interné au bagne de Maison Carrée d’Alger. Fin octobre 1940, la sécurité de Péri exige le changement de planque. Il part pour une destination inconnue. Gabriel s’installe dans un premier temps boulevard Mac-Donald dans un logement qui avait appartenu à Henri Barbusse, décédé depuis 1935.
Janvier 1941, à la demande du Parti il va emménager 5 place de la Porte de Champerret à Paris. Il va y rédiger : « Non, le nazisme n’est pas le socialisme ». L’appartement appartient à André Chaintron, militant communiste connu des services de police. Le soir du dimanche 18 mai 1941, les différentes filatures de la police aboutissent à son arrestation. Le lundi 15 décembre 1941, il sera fusillé par les Allemands au Mont-Valérien.
Maurice Guérin, frère de Marthe, né le mardi 29 septembre 1914, sera arrêté le mercredi 1er octobre 1941 pour propagande communiste par la gendarmerie française et incarcéré à Fresnes. Il est condamné par un tribunal militaire allemand à trois ans de travaux forcés le jeudi 30 octobre 1941. Marthe lui porte des colis. Il sera exécuté comme otage le mardi 31 mars 1942 au Mont-Valérien. Son nom est gravé sur le monument du souvenir, oeuvre du plasticien Pascal Convert.
Franz Stock, prêtre catholique et aumônier dans les prisons parisiennes, l’évoque dans son journal de guerre (l’esplanade du Mont-Valérien face au mémorial de la France combattante à Suresnes porte son nom). Comme adresse, il indique celle de la famille Roger Jean. Maurice est « mort pour la France », mention portée à l’état-civil. Roger Guérin, frère de Marthe, né le mardi 20 février 1912, est résistant des premières heures de l’occupation. Ouvrier, déporté à Oranienbourg puis Sachsenhausen, il sera conseiller municipal et conseiller général de Courbevoie en 1945. La tante, Rose Guérin, née le jeudi 4 février 1915, épouse de Roger, belle-soeur de Marthe et Roger, est sténodactylo. Elle a été déportée à Ravensbrück puis à Mauthausen.
Elle sera députée de Clichy de 1945 à 1958, parmi les premières femmes députées en France. Elle était amie de combat de Geneviève de Gaulle-Anthonioz. Roger Jean, le mari de Marthe, est arrêté le samedi 4 juillet 1942, interné dans les prisons de la Santé, Poissy, Melun, Châlons puis déporté à Buchenwald en 1944. Leur fille, Dominique – notre trésorière-adjointe – naît le jeudi 28 mai 1942, sept semaines avant l’arrestation de son père Roger. Après le changement de domicile de Gabriel Péri, la Résistance avait procuré à Marthe et à ses deux enfants, une maison à Saint-Prix (vallée de Montmorency). Une adresse non connue de la police et où Roger pouvait les rejoindre le dimanche.
Jusqu’au jour fatidique du samedi 4 juillet 1942 où Roger est arrêté par la police. Le dimanche 5 juillet 1942 à Saint-Prix, la famille reste sans nouvelle. Philippe se souvient qu’il attendait sur la route de voir arriver son père. Pour Marthe, pas de doute sur le motif de cette absence. Alors, à l’inquiétude, Marthe répond par la décision du retour à Clichy où la police avait établi une planque. L’arrestation de Roger laissait espérer une visite d’un résistant. Quand Marthe pousse la porte, elle voit deux policiers à table : «Mais, ils bouffent nos haricots, les salauds ! » s’exclame-t-elle. Si les policiers ne procèdent pas à l’arrestation de Marthe, c’est probablement que la surveillance d’une femme seule avec deux enfants et son arrestation n’étaient pas utiles.
En octobre 1942, Rose Guérin, Roger Guérin, Roger Jean, belle-soeur, mari et frère de Marthe, sont tous trois incarcérés à la prison de la Santé, et Marthe doit trouver de quoi confectionner des colis pour chacun d’eux avec son salaire d’ouvrière. Trois années de tourments, pas de nouvelles, Marthe est seule avec deux enfants… Son frère, Robert Guérin, prisonnier de guerre, qui s’est évadé, revient si affaibli qu’il décédera très vite à son retour de captivité.
En avril et mai 1945, reviennent les trois déportés : Rose et les deux Roger, comme une récompense de ses espoirs et de son courage. Une famille communiste, fidèle à ses engagements, de toutes les luttes. Si les tourments sont moins importants, la vie reste difficile.

FIDÈLES À LEURS ENGAGEMENTS
APRÈS LA GUERRE

La France est à reconstruire, la relever de ses ruines, le ravitaillement est difficile, il faut gagner l’application du programme du Conseil National de la Résistance.
Marthe reprend le travail et sera déléguée du personnel, victime de la répression patronale, mais elle ne cède rien pour faire appliquer les lois en faveur des salariés.
Après avoir connu deux guerres mondiales, elle va connaître la guerre d’Algérie, avec le départ de Philippe, soldat du contingent. Elle va s’engager contre la guerre où les jeunes Français risquent la mort, et dénonce les atrocités commises contre le peuple algérien. Le retour de Philippe fut une grande joie pour Marthe qui continuera son action pour la Paix. Nous n’oublierons pas de nous souvenir, antérieurement à la guerre d’Algérie, de son engagement contre la salle guerre du Vietnam et de son séjour en prison pour avoir distribué des tracts à l’entrée de l’usine contre la venue du général américain Matthew Bunker Ridgway, utilisateur d’armes nouvelles en Corée. Dénoncée par son employeur, la police l’avait arrêtée et un magistrat l’a fait incarcérer à la prison de la Petite Roquette à Paris. Ils continuent aussi chaque semaine à diffuser L’Humanité.
Jean-Pierre RAYNAUD