C’est une histoire totalement à part dans celle de la Résistance française. Celle de Bir-Hakeim, maquis indépendant, très jeune, très audacieux, mobile et indocile, qui a donné beaucoup de fil à retordre aux Allemands et à la police de Vichy entre l’été 1943 et le printemps 1944, avant d’être massacré en Lozère, à quelques jours du Débarquement.

L’histoire avait commencé en 1942, à Toulouse. Jean Capel, 32 ans, communiste engagé au sein du mouvement gaulliste Combat, imagine de constituer un maquis-école pour former des jeunes capables d’encadrer les premiers maquis armés. Les premiers recrutements commencent, au Grand lycée de Toulouse, à deux pas de la place du Capitole. Grâce à l’aumônier de l’établissement Capel fait la connaissance de Marcel de Roquemaurel (19 ans), chef de classe en deuxième année de prépa Navale. Issu d’une famille maurrassienne mais patriote, Marcel de Roquemaurel commence par recruter quelques camarades dans les prépas militaires du lycée, puis pour les encadrer il présente à Capel son grand frère, Christian (22 ans), sous-officier des hussards de Montauban en congé d’armistice.

L’aîné racontera la rencontre dans ses mémoires (écrites à la fin des années 80 pour sa famille et qui n’ont jamais été publiées): «Je souhaitais entendre de la part de ce responsable quelques éclaircissements sur ce que pouvait être cette résistance intérieure armée dont on commençait à parler. (…) J’ai ainsi appris qu’il existait à Toulouse des groupes-francs d’action urbaine, que ce stade de résistance devait désormais être élargi et qu’il fallait, devant l’accélération des poussées alliées, constituer des maquis à base de troupes armées et instruites». Les premiers entraînements se font chez les uns, chez les autres, parfois dans une boucle de la Garonne. Capel a remis à Christian de Roquemaurel un mousqueton pris dans un stock de l’armée d’armistice, pour le reste ils s’entraînent à présenter les armes avec des bâtons. Cela ressemble à un jeu. Ils ne mesurent sans doute pas la portée de l’engagement vers lequel ils se dirigent.Au bout de quelques mois, Christian de Roquemaurel vient trouver Jean Capel, fin mai 1943. Il voit l’été arriver et craint que les vacances ne dispersent son groupe, s’ils ne réunissent pas les hommes à l’écart de Toulouse.  Capel l’envoie en éclaireur dans l’Aveyron pour trouver une première planque. Et le premier maquis s’installe en juin 1943 à quelques kilomètres de Villefranche-de-Rouergue, dans une bergerie du lieu-dit Lestibie, au creux d’un vallon difficile d’accès. Ils sont une dizaine au départ. Les premières semaines sont racontées avec précision dans les mémoires de Christian de Roquemaurel. De nombreuses photos en témoignent aussi. Un matériau très ra e: on se prend rarement en photo dans la clandestinité… L’une des recrues des premiers mois conserve par ailleurs les dessins extrêmement précis que faisait l’un de ses camarades, Bernard Sevestre, étudiant en prépa Coloniale (c’est lui qui trouvera le nom de Bir-Hakeim, hommage à la première participation des Forces françaises libres à un combat allié, dans le désert libyen en juin 1942).

Officiellement les jeunes sont en vacances mais chaque matin ils lèvent les couleurs, s’entrainent, font de la gymnastique. Un corps-franc basé à Toulouse les ravitaille en matériel, en uniformes, en organisant des «réquisitions» dans tout le Sud-Ouest. Fin juillet, il leur livre aussi une centaine de mousquetons. Le groupe devient de plus en plus voyant. Il faut bientôt déménager.Fin août 1943, Capel envoie le maquis-école dans l’Hérault, à proximité de Lamalou-les-Bains, ville dont sa famille est originaire. Certains, transitant par Toulouse, en profitent pour déserter. Bir-Hakeim accueille à leur place quelques nouvelles recrues, dont un ancien de la classe prépa de Marcel de Roquemaurel, Jacques Sauvegrain, fraîchement admis à Polytechnique. De nombreux réfractaires également, qui refusent le Service du travail obligatoire en Allemagne, travaillent dans des fermes alentours.Le maquis s’installe cette fois dans le presbytère d’une église abandonnée, à Douch, sur un plateau dominant le Haut-Languedoc. Ils sont désormais une soixantaine, organisés en sizaines.

Là aussi ils lèvent les couleurs tous les matins, font des descentes dans les petites villes de la région. Et sont vite repérés.Le 10 septembre 1943 à l’aube des soldats allemands prennent la direction de Douch. Bir-Hakeim a été dénoncé. Heureusement les colonnes se séparent pour encercler le presbytère et l’une d’elles se perd dans le brouillard. Au lever du jour les hommes dorment encore dans le presbytère lorsque quelqu’un crie: «Les boches»! Christian de Roquemaurel grimpe dans le clocher pour évaluer la situation. Selon le rapport que rédigera le lendemain le directeur régional des renseignements généraux, les Allemands sont environ 130, équipés «d’armes automatiques, de grenades à main, de mortiers de campagne, de canons». Roquemaurel constate que les tirs viennent de partout sauf de l’arrière du presbytère. Il ordonne le repli par là, les hommes sortent par un soupirail, franchissent un ruisseau, disparaissent dans les bois. Deux d’entre eux sont tués au combat. Les premiers morts de Bir-Hakeim.

Un ancien policier que l’on appelle «Baron», et Alphonse Landrieux, un facteur de Toulouse.Quatre autre sont faits prisonniers. André Jaxerre, de Toulouse. Edmond Guyot, alias Sanglier, des Ardennes. Henri Arlet, l’un des tout premiers du maquis, qui aurait pu se sauver mais a pris le temps de charger sur son dos un jeune blessé, Jacques Sauvegrain, celui qui avait préféré Bir-Hakeim à Polytechnique. Les quatre jeunes hommes sont interrogés, torturés, avant d’être condamnés à mort le 24 octobre 1943 par un tribunal militaire allemand au terme d’un simulacre de procès, et fusillés le 9 novembre à Toulouse. Dans ses «Mémoires de guerre», le général de Gaulle cite le combat de Douch comme un «signal» pour toute la Résistance française. De son côté Christian de Roquemaurel écrit dans ses mémoires: «Ces jeunes n’avaient jamais tué, n’avaient jamais vu le sang de leurs frères, n’avaient jamais ressenti cette mutation psychologique que déclenche le bruit du combat. À la place d’un halo de dévouements aux contours mal définis, s’est imposée une réalité qui ne les quittera plus. Celle de la mort qui entre brutalement.» Elle va les retrouver souvent, dans les mois qui vont suivre…

Le maquis Bir-Hakeim, indépendant et intrépide, a donné beaucoup de fil à retordre aux Allemands de l’été 1943 au printemps 1944. Après le premier épisode (Châteaubriant n°273), suite des aventures de cet atypique corps franc, tirées du livre de l’auteur, Les Imprudents (Éditions du Seuil).

Les hommes du maquis Bir-Hakeim se retrouvent dispersés en septembre 1943. Les Allemands les ont attaqué à l’aube, le 10 septembre, dans le presbytère où ils se cachaient à Douch (Hérault).Ils ont pris la fuite, laissant deux morts et quatre prisonniers, qui seront fusillés quelques semaines plus tard. Jean Capel, le fondateur du maquis, est alors hébergé à Auriac-sur-Vendinelle, près de Toulouse. Par un gaulliste franc-maçon, futur haut fonctionnaire de l’administration gaulliste, qui lui présente des cadres de l’Armée secrète. Cela permettra à Bir-Hakeim de s’émanciper des hiérarchies régionales, pour prendre ses ordres directement de Londres et s’organiser à sa guise.
Les hommes, eux, sont cachés dans un premier temps dans des fermes du Lauragais, des garnis toulousains, puis à la frontière espagnole. Ils mènent des actions pour refaire la flotte de véhicules, reconstituer les stocks saisis par les Allemands. Ils dévalisent des chantiers de jeunesse, qui ont remplacé le service militaire. Puis à la fin de l’automne Bir-Hakeim change de région militaire.Le maquis-école prend alors la direction du Gard où la mission de Jean Capel sera d’essayer de fédérer les maquis épars du sud-est cévenol. Mais les relations avec les maquis FTP (communistes) de la région sont empreintes (au mieux) de méfiance. Les résistants locaux ne comprennent pas ce que viennent faire ces jeunes gens, nombreux (le maquis-école compte 60 à 80 jeunes à partir de janvier 1944) et sur-armés, trop voyants selon eux.
Bir-Hakeim ne se cache guère. Les hommes mène de nombreuses actions de réquisition, de pain, de tabac, dans les commerces de la région. Ils n’hésitent pas à provoquer les Allemands. Fin janvier Bir-Hakeim est dénoncé, les hommes quittent le Gard pour l’Ardèche. Ils s’installent dans une ferme isolée du village de Labastide-de-Virac. Mais ils circulent beaucoup, à vive allure, dans les villages. Les gendarmes les repèrent très vite. À la mi-février 1944, le commandant de la brigade de la gendarmerie de Vallon-Pont-d’Arc signale dans un rapport la présence « sur le territoire de Labastide » d’une « organisation militaire disposant d’un assez grand nombre d’armes automatiques, de moyens de transport divers à essence, et d’un effectif d’environ 80 hommes ».
L’information circule et la division SS Brandenbourg attaque, le 26 février au matin. Mais le maquis a été prévenu de l’imminence d’un assaut, grâce à un gendarme. Les Allemands essuient de lourdes pertes alors qu’un seul homme de Bir-Hakeim est tué. Un jeune blessé qui a refusé d’être évacué, s’est sacrifié pour couvrir la retraite de ses camarades. Son corps sera retrouvé une semaine après le combat, il restera inconnu soixante-quinze ans. Il s’appelait René Désandré, avait 21 ans.
Les Allemands reviennent se venger le 3 mars 1944. Une fois de plus les maquisards ont été prévenu à temps, ils ont pu prendre la fuite la veille. En représailles la division Hohenstaufen fusille les 15 habitants du hameau de Labastide où le maquis s’était réfugié après le combat précédent.
Bir-Hakeim rallie alors la Lozère, où le choc culturel est important avec les maquis cévenols, dont les méthodes s’inspirent des camisards, privilégient la discrétion, l’action loin des villages avant de rentrer se fondre dans la population.
Le 7 avril 1944, trois feldgendarmes allemands en patrouille sont tués à Saint-Étienne-Vallée-Française dans une embuscade dressée par Bir-Hakeim. Le village prend la fuite pour échapper aux représailles allemande, la grogne monte contre Bir-Hakeim. Pendant quelques semaines les hommes de Jean Capel se cachent entre l’Hérault et la Lozère. Les coups d’éclat audacieux continuent et plusieurs cadres sont arrêtés, dont Christian de Roquemaurel, le lieutenant qui dirige le maquis-école. Jean Capel, le fondateur, charismatique, intelligent, mais moins bien formé militairement, dirige directement ses hommes à partir de la mi-mai 1944.
La pression des Allemands et des miliciens se resserre alors. Dans la nuit du 25 au 26 mai 1944, Bir-Hakeim quitte en urgence l’hôtel à l’abandon où il se cache, sous le Mont Aigoual. La troupe se disperse, se donne rendez-vous à La Parade, village du causse Méjean. Certains partent en camion, les autres à pied. Après deux jours de marche ces derniers arrivent exténués le samedi soir. Ils doivent repartir le lendemain matin, car le village se trouve trop exposé, mais le départ prend un peu de retard. Or le maquis a été dénoncée aux gendarmes. Ces derniers ont alerté le préfet, qui a prévenu les Allemands. Au petit matin du dimanche 28 mai La Parade se retrouve complètement encerclée. Quelques hommes parviennent à s’enfuir, les autres se réfugient dans des maisons, des granges, et le combat s’engage. Jean Capel est tué en tentant une sortie, Marcel, le petit frère Roquemaurel, aussi. Trente-quatre hommes meurent au combat, vingt-sept se rendent, contre promesse qu’ils seront prisonniers de guerre. Les SS les livrent en réalité à la Gestapo, qui les torture des heures avant de les fusiller, le lendemain matin, dans un ravin des environs de Mende.
Créé pour encadrer les combats à la Libération, le maquis Bir-Hakeim se retrouve quasiment décimé huit jours avant le Débarquement. Il se reformera, avec les quelques survivants, braves de la première heure rejoints par ceux que la victoire imminente rend courageux. C’est ainsi que Bir-Hakeim participera à la libération de Montpellier, avant d’être dissout fin août 1944. Le maquis de Jean Capel et Christian de Roquemaurel a vécu à peine plus d’un an.Mais il a laissé une trace inaltérable, faite de courage, d’imprudence, de fougue, d’indépendance. La trace d’une jeunesse en temps de guerre.
Olivier Bertrand