ANNECY – 2013
Annecy, la Gestapo et l’École Saint-François
« Que le sang sèche vite en entrant dans l’histoire…» Cette réminiscence est probablement venue à l’esprit des Familles de Résistants et de nombreux citoyens d’Annecy à l’annonce de la démolition de l’imposant bâtiment du Collège Saint-François qui devint siège de la Gestapo à l’époque de l’Etat français. Ici, la 2ème Guerre Mondiale a laissé des traces indélébiles, comme dans chacun des lieux d’internement où sévirent les occupants et les sbires de la police vichyste. Des protestations s’élevèrent. En vain. Ainsi, se dressera bientôt sur son emplacement un immeuble, annoncé par d’immenses panneaux colorés et attractifs. Le 19 août dernier, jour anniversaire de la libération de la ville, en face de l’établissement historique, une foule recueillie a assisté à l’inauguration d’un square consacré aux victimes de la répression.
En présence de Georges-François Leclerc, préfet de Haute-Savoie, de Jean-Luc Rigaut, maire d’Annecy, des représentants du Conseil général, des délégués des différentes associations d’anciens combattants et de mémoire, de cinquante porte-drapeaux, d’un piquet d’honneur du 27ème Bataillon de chasseurs alpins, Julien Helgott, au nom du Comité Haut-Savoyard des associations de Résistance et de Déportation, prononce l’allocution d’ouverture de la cérémonie dans la plus grande émotion. Quant à monsieur le Maire d’Annecy, il devait, dans son intervention, donner l’assurance (attendue) que l’ancienne plaque commémorative serait déplacée de l’école Saint-François sur le nouveau bâtiment. Après le dévoilement de trois stèles par les militaires du 27ème BCA, furent évoqués les tragiques évènements locaux ayant préludé à la Libération. Des extraits de ces interventions font suite à ce compte-rendu.
Par son grand recueillement, l’assistance a su donner tout leur sens aux chants patriotiques ponctuant les dépôts de gerbes. Avec La Marseillaise et le salut aux porte-drapeaux s’acheva cet hommage solennel.
Texte lu par Jacqueline Néplaz-Bouvet, fille de Fusillé :
Construite en 1890, l’école Saint-François a accueilli des générations d’élèves de l’enseignement catholique jusqu’à sa démolition et son transfert à Seynod en 2011. En 1939, elle devient cantonnement militaire. Le 8 septembre 1943, s’y installent une compagnie de SS et une section de la police de protection (Schutzpolizei). L’école devient prison de la Gestapo.
Dans les sous-sols, plus de 260 patriotes, dont 23 femmes, sont détenus et torturés. 40 d’entre eux sont fusillés à Vieugy les 15 et 18 juin, 16 juillet et 10 août 1944, dont Louis Mazaudier, Roger Malgarotto, Claudius Pauto, Adrien Badal, membre de l’état-major Francs-Tireurs et Partisans des deux Savoie, ainsi que le révérend père Louis-Adrien Favre, enseignant au juvénat de Ville-la-Grand, grâce à qui des centaines de fugitifs, la plupart juifs, ont trouvé refuge en Suisse. Resté muet sous la torture, le lieutenant Bastian, un des chefs des Glières est exécuté le 28 avril à Alex. Pierre Lamy, chef de l’Armée secrète d’Annecy, est abattu le 18 juillet à Saint-Jorioz. Inspecteur du travail, il avait été l’un des organisateurs du refus du Service du Travail Obligatoire en Allemagne. Jeanne Arragain et Alice Déléan, Résistantes, meurent en déportation.
Le 19 août, les Résistants libèrent les derniers captifs. Mais le 28 août, un charnier est découvert dans la cour, contenant les corps de Pierre Benest, Jean Chantebeau, René Dayne, René Hermel, Maurice Kleinhaus, Robert Lagadec et Georges Léger, assassinés le 15 mars 1944.
Texte lu par Martine Laurent, fille de Résistant :
Durant la Seconde Guerre Mondiale, la Haute-Savoie est l’un des hauts lieux de la Résistance. Une lutte sans merci l’oppose aux forces de répression de « l’Etat Français » de Vichy, et, à partir de novembre 1942, à celles de l’Occupant, italien d’abord puis allemand, jusqu’à leur capitulation devant les seules forces unies de cette Résistance, le 19 août 1944.
Il aura fallu pour cela payer le prix fort. A Annecy, à Annemasse, à Thonon, se multiplient les lieux de détention et de torture. Des milliers de Résistants sont emprisonnés : à l’école Saint-François, aux Marquisats, dans la villa de la Commanderie où stationnait la Milice, à la prison départementale rue Guillaume Fichet, au Château, au Palais de l’Ile, à l’Intendance où sévissait la Section anticommuniste, au quartier Galbert, au camp de Novel, à la caserne Desaix, à l’école des Cordeliers, dans les villas Martens, Mary, Schmid et même sur le bateau France, après la grande rafle effectuée par la Milice le 13 mars 1944, dans le cadre de l’état de siège décrété le 31 janvier.
Les prisonniers, incarcérés dans des conditions sommaires, sont souvent torturés, certains jusqu’à la mort. Beaucoup n’en seront extraits que pour être fusillés ou déportés. Sur le registre de la barbarie, la Milice française ne l’a cédé en rien à la Gestapo.
Texte lu par Nicole Aragnol, fille de Déporté-Résistant :
Le 19 août 1944, la libération de la Haute-Savoie par les forces de la Résistance donne tout leur sens aux sacrifices consentis. L’école Saint-François accueille à nouveau des élèves le 1er octobre ; le 15, une « Journée réparatrice » célèbre solennellement le souvenir des patriotes qui ont, en ces murs, payé de souffrances innommables et souvent de leur vie leur engagement au service de la France et de la liberté.
Depuis lors, traditionnellement, les commémorations de l’anniversaire de la Libération de Saint-François, commencent par un hommage à ceux qui, dans ces geôles, ont connu la détention et le martyre. Une plaque, apposée sur le mur extérieur de l’école, avec deux versions successives, pérennisait cette mémoire.
Le 30 juin 2011, la fête de clôture de la dernière année scolaire donna lieu à une vibrante évocation des heures tragiques de l’Occupation, interprétée par les élèves et leurs enseignants. Le 19 août suivant, 67ème anniversaire de la Libération, pour la dernière fois, un hommage était rendu devant la plaque historique. Aujourd’hui, alors que le bâtiment chargé de cette histoire douloureuse a disparu, souvenons-nous des mots d’André Malraux lors de l’inauguration du monument national à la Résistance au Plateau des Glières en 1973 : « Passant, va dire à la France que ceux qui sont tombés ici sont morts selon son cœur ».
Les Patriotes exhumés, en août 1944, du charnier de la cour de l’école :
Pierre Benest, né le 18 avril 1923 à Nantes, vivait chez ses parents à Suresnes, dans une famille protestante et patriote. Avec son frère Paul, il s’engage dans la Résistance haut-savoyarde.
Jean Chantebeau, né le 17 novembre 1923 à Couziers (Indre-et-Loire), fera partie de la « Patrouille blanche », comme Paul Benest.
René Hermel, né le 12 août 1922 à Paris (XVIIIème), fera partie de la Compagnie 93-08 des FTP.
Maurice (Mozes) Kleinhaus, né le 24 mai 1895 à Stanoniva (Pologne), avait quitté la Belgique pour Passy (Haute-Savoie).
Robert Lagadec, dit « François », né le 2 mars 1922 à Paris (XIIIème), était un camarade de René Hermel.
Jacqueline Néplaz-Bouvet