René Despouy : Romainville – Mont-Valérien (2011)
Fort de Romainville – 10 août 1942 : Arrivée des hommes arrêtés le 17 juin et les jours suivants – sans doute parqués dans les casemates. Les femmes, arrêtées aux mêmes dates, parviennent vers 16 heures au second étage d’un bâtiment. Vers 18 heures, d’une fenêtre ouverte, j’entends crier : « Oui, la femme de Despouy est là ! » Ma surprise, en un tel endroit ! Comment ont-ils pu se renseigner ? Une heure plus tard, on vient m’informer : « Ton mari te fait dire qu’il part en Allemagne ». Rassurée de le savoir vivant, je transmets ce message d’espoir et de courage à mes amies car je pense qu’il leur est aussi destiné.
Je suis certaine, aujourd’hui, qu’à cette époque et en ce lieu, il savait le sort qui l’attendait. Il était trop lucide, trop clairvoyant pour avoir des illusions. Le lendemain matin, vers six heures, nous avons vu passer le car, quelconque, avec les hommes à l’intérieur et, peut-être, un soldat en armes… Premières exécutions au Mont-Valérien, à 7h05. René, à 7h20… (1)*
Pourquoi je te raconte cela : pour que ce soit un document réel, vivant, sur ce qui s’est passé au Fort de Romainville. Ma vie, du 10 août à fin septembre, je n’en parle pas : vie collective, sans penser à rien, avec d’autres, dont les Tourangelles arrivées fin août…
J’aimerais savoir comment étaient traités les centaines de Résistants qui ont passé leur dernière nuit en ces lieux. Y a-t-il des traces, quelques récits ? Pas sûr, car ils n’avaient rien pour écrire, ni même peut-être pour s’asseoir.
Mont-Valérien – Une autre anecdote marquante pour moi : avec ma belle-sœur, à la Libération, nous fîmes le voyage à Suresnes à l’occasion des premières manifestations du souvenir. Nous étions dépaysées par tant de monde. Un journaliste, voyant notre embarras, nous pilota vers Mathilde Péri, entourée de ses amis. Au départ pour la Clairière des Fusillés, devançant les officiels, elle dit d’une voix calme mais ferme : « Familles de Fusillés, d’abord ! » Elle aurait pu dire « les familles de Fusillés » ; en supprimant l’article « les », ce jour-là, elle nous donna plus qu’un nom, un titre. Et nous descendîmes en tête, dans la clairière où les poteaux en bois, criblés de balles, existaient encore.
Ce lieu que j’ai visité dix fois, vingt fois, toujours la gorge serrée, il représente tant de sacrifices, tant de courage…
Pourquoi je t’écris cela, à tête reposée ? C’est pour être avec vous le jour de votre passage en ces différents lieux.
Lucienne Despouy
(1) 88 otages assassinés, ce jour-là !
On doit à Serge Klarsfeld les précisions suivantes : « Le choix des otages n’a pas été déterminé, même en partie, par le hasard… Les SS comme Lischka, Hagen, Laube, Kubler, Illers ne se reposaient pas sur le hasard. Ils ont frappé l’ennemi n°1 de l’occupant nazi : les quatre-vingt-huit otages sont communistes, comme l’établissent les fiches allemandes qui sont suivies chacune des fiches établies par les services de la police française » (« Le Livre des Otages » – p.79).