Lors de la Guerre 1939-1945, l’agglomération bordelaise compte deux entreprises aéronautiques : l’Atelier de réparation du matériel de l’Armée de l’Air (ARMAA), devenu l’Atelier industriel de l’Air (AIA), implanté aujourd’hui à Bordeaux-Floirac) et la Société nationale de Construction aéronautique du sud-ouest (SNCASO) installée à Bordeaux-Bacalan, Bègles et Mérignac.
Les grèves de 1936 sont menées par des personnels fortement organisés, syndicalement et politiquement. A l’armistice de juin 1940, Bordeaux et sa région sont en « zone occupée ». Dès septembre, les usines, réquisitionnées par les Allemands, reprennent le travail… pour le compte de l’entreprise Focke-Wulf. Malgré la dissolution des syndicats et du Parti communiste, la lutte s’organise dans les ateliers (distributions de tracts, grèves).
Le 22 novembre 1940, le préfet fait arrêter en Gironde 148 militants (communistes et syndicalistes) dont plusieurs anciens de la SNCASO ; ils sont internés à Bacalan, puis à Mérignac. De nouvelles arrestations ont lieu en février puis août 1941. Pour autant, l’activité de propagande ne cesse pas. Bien au contraire, elle va se structurer dans les premiers réseaux de résistance. Les sanctions suivent : nouvelles arrestations !
En juin 1941, l’Allemagne envahit l’Union soviétique ; l’action clandestine des militants communistes s’affirme plus directe. Des officiers allemands sont abattus en octobre 1941 à Nantes et Bordeaux. En représailles, les Allemands fusillent 50 otages au camp de Souge, le 24 octobre 1941. Parmi eux, 6 salariés de la SNCASO et 2 de l’AIA.
La lutte s’organise (grèves, débrayages, prises de parole). Les malfaçons, les pertes de temps se multiplient dans les ateliers ; la méfiance allemande est telle que, lors des essais en vol des avions, du personnel français est embarqué.
Au début 1942, la résistance communiste est structurée. Les fusillades se multiplient : février, mai, juillet, août… Le 21 septembre 1942, 37 salariés de la SNCASO et de l’AIA sont fusillés à Souge.
Les arrestations sont opérées par la police française, sous la direction du sinistre commissaire Poinsot. Prévenus, certains militants se sauvent à temps ; l’un rejoint la Résistance en Dordogne, un autre passe en Espagne puis rejoint la France libre et fournit des renseignements aux services anglais pour bombarder l’usine de Mérignac et la base aérienne…
Bordeaux est un centre important pour la stratégie de guerre des Allemands qui disposent d’une base sous-marine près de la SNCASO et du terrain d’aviation de Mérignac d’où ils peuvent repérer et attaquer les convois alliés.
En mai 1943, les bombardements américains commencent : Base sous-marine, SNCASO, quartiers de Bordeaux… On déplore 184 morts civils dont plusieurs à la SNCASO. En août 1943, c’est la base aérienne qui est visée. Le 5 janvier 1944, l’atelier de la SNCASO est détruit, il y a des morts parmi le personnel. Les bombardements se poursuivent et l’usine de Bacalan est déménagée dans les carrières de Saint-Astier, en Dordogne.
6 juin 1944 : débarquement en Normandie ; 15 août : débarquement en Provence. Les Allemands se replient. Le 19 août dans l’après-midi, 1500 soldats allemands quittent Périgueux, attaquent St-Astier, fusillent 21 otages dont le curé du village et 5 employés de la SNCASO. Après la libération de Bordeaux, certains salariés rejoignent les Forces Françaises de l’Intérieur, et poursuivent le combat dans les poches du Médoc et de Royan, laissant là aussi des victimes.
Au total, 78 salariés de la SNCASO et 17 de l’AIA ont laissé leur vie pour que la France vive. L’importance du nombre des martyrs des usines de l’aéronautique bordelaise n’a pas échappé aux autorités de l’après-guerre. En 1946, un monument à leur mémoire est érigé à Bacalan et inauguré par Charles Tillon, Ministre de l’Armement ; à la fermeture de la SNCASO, il est transféré à Mérignac, dans l’enceinte des usines de la Sogerma, à l’abri des regards et du passage public…sauf les jours de commémoration.
Michèle Vignacq