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PHOTOS : COMRA

par Charles-Louis Foulon, historien

Louise et Charles Foulon, un couple citoyen en Bretagne :

Voici un peu plus de vingt ans, un ex-médiateur de la République énonçait dans la presse qu’on ne put considérer comme une obligation morale de « contribuer à l’organisation de la Résistance » avant 1943 car, selon lui, ce n’est qu’à cette époque qu’il « fut possible de croire que l’utilité du sacrifice l’emportait sur le risque encouru ». Cette malencontreuse défense de l’opportunisme et, plus précisément, du vichysme de François Mitterrand par Paul Legatte 1, fut moins convaincante que les mots prononcés par le président de la République, le 24 novembre 1994. Quand Marie-Claude Vaillant-Couturier lui remit, avec des responsables de la Fédération Nationale des Déportés, Internés, Résistant et Patriotes, le Grand livre des témoins, il parla clairement. Sans pour autant exprimer des regrets sur sa jeunesse réactionnaire ou son long soutien à René Bousquet, un des piliers de la collaboration policière avec les nazis, il assuma ses choix anciens : « mes choix qui, finalement, ont été des choix communs, des bons choix (…) Les bons choix d’une vie, c’est lorsqu’il faut choisir sa route : ‘par ici ou par là. Finalement ce sera par là. C’est toute la leçon de ma propre jeunesse »2.

Le couple dont je vais évoquer les choix et l’action, c’est celui que formèrent deux résistants bretons pleinement engagés, après la libération, dans la renaissance de la République et le développement du pays en fonction d’un engagement civique qui n’a pris fin qu’avec leurs vies. En 1945, aucun d’eux ne risquait que quelqu’un puisse les qualifier de vichyssois ou de néo-fascistes3. Rien, dans leurs jeunes vies, n’assombrissait leurS parcours. Et je me refuse à considérer que les derniers épisodes de la belle série Un village français se résument à faire de la Libération, comme vient de l’écrire fâcheusement Isabelle Poitte4, le temps de la sauvagerie, des salauds capables d’un sursaut désespéré d’humanité, des héros qui salissent leurs idéaux.

Pour savoir que cette synthèse va côtoyer des textes évoquant les mémoires de parlementaires éminents – Marie-Claude Vaillant-Couturier et Pierre Villon unis par le communisme et la Résistance ; Marie-Hélène Lefaucheux dont le mari dirigea la Régie nationale Renault pendant qu’elle devenait une forteresse ouvrière, j’ai conscience qu’évoquer les mémoires du professeur Charles Foulon et de son épouse Louise Foulon-Ropars, c’est passer de mémoires relevant des commémorations nationales au souvenir d’un couple dont la célébration incombe essentiellement à la région de Bretagne5. En témoignent d’ailleurs particulièrement les traces laissées à Rennes, capitale régionale par le professeur et madame Charles Foulon. La mémoire de Louise et Charles Foulon y est inscrite particulièrement en deux lieux et deux voies publiques :

– le centre Louise Foulon rattaché au service interuniversitaire de médecine préventive et de promotion de la santé, inauguré en juin 1970 ;
– la bibliothèque Charles Foulon de l’université Rennes 2, inaugurée en septembre 2012 ;
– l’avenue professeur Charles Foulon, inaugurée le 8 mai 1998 ;
– la promenade Louise Foulon Ropars dont la création a été votée à l’unanimité, au printemps 2015, par le conseil municipal de Rennes désireux d’honorer, au centenaire de sa naissance, le souvenir de celle qui fut une infirmière au maquis

puis la première assistante sociale des étudiants bretons6.

En acceptant de vous présenter les vies et les engagements de ce couple dont je suis le dernier fils, je suis conscient d’aggraver le discret reproche que me fit, naguère, Laurent Douzou en écrivant que mon travail d’historien n’était peut-être pas sans lien avec une certaine piété filiale7. S’appuyant sur la dédicace de mon premier livre à mes parents, il écrivait que la relève générationnelle « n’était nullement synonyme d’une vision de l’histoire qui eût été dépassionnée ». Je n’ai rien renié depuis les années 70, ni depuis 2005, de mon échelle de sympathies ; mais je revendique la vérité du jugement du président René Cassin sur l’ouvrage tiré de mes premières recherches dont il voulut bien écrire qu’il reflétait exactitude et sérénité.

Et puis, de même que le cher Jean-Louis Crémieux-Brilhac a proclamé en 2012, dans la cour d’honneur des Invalides, que « Raymond et Lucie Aubrac, couple désormais mythique, continuent et continueront de dresser le flambeau de la justice et de l’espérance », je crois légitime d’affirmer la vérité permanente de propos tenus par le maire de Rennes, M. Edmond Hervé à la fin du siècle dernier. Il souhaitait que la cité qu’il dirigea pendant plus de trente ans n’oublie pas les consciences qui éclairent et animent et qui ont montré, par leurs engagements, la nécessité et la signification du militantisme. Député, ministre puis sénateur, fils de petits agriculteurs bretons comme Louise Ropars, Edmond Hervé affirmait d’autre part, en mars 2006, que, « lorsque nous commémorons, nous devons toujours donner un sens civique à l’acte »8. C’est dans cet esprit que le présent texte a été conçu sans que son auteur oublie que des couples comme ceux que formèrent Raymonde et Charles Tillon ou Abel et Yvette Farnoux auraient légitimement pu être évoqués dans cette journée de souvenir et d’études 9. Et bien évidemment, nous devons toujours faire mémoire des couples que la guerre précipita dans la mort, tels Marie et Joseph Hackin, compagnons de la Libération ensemble, à titre posthume, dès le 13 mai 1941 ou Félix Pijeaud et sa femme Colette – lui mort le 6 janvier 1942 et créé compagnon dès le 26 mars suivant ; elle – une assistante sociale comme Louise Foulon-Ropars – morte en déportation en décembre 194310.

En partant du mois de février 1942 où Charles Foulon fut arrêté pendant qu’il faisait classe et où sa femme commença le tour des prisons parisiennes pour retrouver celui qu’elle avait épousé six mois plus tôt, je souhaite rappeler le sens de deux vies et d’un couple qui se forgea dans l’action résistante parce que, comme l’écrivit Charles Foulon en évoquant les mémoires de ses camarades Émilienne Martin et Hubert de Solminihac, dans la clandestinité, chaque couple se retrouva « doublement uni par l’amour et par l’idéal ».

Le samedi 7 février 1942, la police allemande, renseignée par une voisine du professeur Foulon, vint se saisir de sa personne comme elle arrêtait alors tous les contacts de Joël Le Tac venu de Londres avec une liste d’adresses en clair. Il connut les prisons d’Angers puis de Fresnes avant qu’une agent double qui allait repartir pour Londres ne fasse libérer, en mars, le tiers des membres et sympathisants du réseau Johnny. Abandonnant un emploi rennais, sa jeune épouse s’était lancée à sa recherche ; elle sut, quand on accepta son colis de linge, que son prisonnier était à Fresnes. Agrégé de l’université à 20 ans, Charles Foulon croisa peut-être dans les cours de Fresnes, fugitivement, un de ses collègues, l’agrégé d’allemand Jacques Decour qui allait être fusillé comme otage, en mai 1942.

Toutefois, à la différence de celui qui se considérait comme une feuille constitutive du terreau d’où surgirait une jeunesse française ardente, la chance de Charles Foulon fut, avant même sa libération, de recevoir des brins de bruyère et de petits messages brodés par son épouse sur des coins de mouchoirs. Ces  »tweets » avant la lettre11, ont soutenu son moral et lui ont permis de noter, à la date de sa libération, « fin de la surprise-partie ». Mais, comme le raconta Lucie Aubrac dans le discours pour ses obsèques, cette libération signifia pour Charles et Louise Foulon un désir de vivre renforcé et une volonté d’action fortifiée. La conception de leur premier fils, Jacques, qui allait naître le 14 janvier 1943, ne les détourna nullement de faire de leur appartement rennais un lieu de réunion et un point d’hébergement pour leurs camarades. Engagés dans Libération-Nord et avant qu’ils ne le retrouvent dans un maquis finistérien, ils accueillirent souvent celui qui reconstruisait le socialisme en Bretagne, François Tanguy-Prigent. Quelques semaines avant de devenir le jeune ministre de l’Agriculture du général de Gaulle, le militant Jacques Le Rû qui avait aimé comme un abri rennais très sûr, le 2e étage du 7 bis boulevard Volney, y laissait une valise avec deux complets et « une bise pour le petit Jacques ». S’il espérait reprendre lui-même ses affaires, la conscience des risques qu’il assumait lui faisait écrire : si non tu préviendrais ma femme et les amis de Morlaix. Se ravisant et n’excluant pas l’arrestation voire la mort de son épouse, il rayait le ET de sa phrase pour qu’on prévienne ou sa femme ou ses camarades finistériens. La conscience et l’acceptation du danger furent des réalités et, en ce qui concerne les femmes, comment ne pas répéter les mots d’André Malraux signifiant aux survivantes leur droit au sacre du courage : si beaucoup de femmes ont été des agentes de liaison ou des infirmières, elles ont toutes combattu en face de la mort ; « avec quoi ferait-t-on la noblesse d’un peuple, sinon avec celles qui la lui ont donnée »…

On me permettra donc de vous retracer prioritairement la vie de Louise Foulon-Ropars. Une énergie infatigable, c’est ce qu’elle dût déployer pour faire des études puisqu’à son époque, les enfants de paysans n’avaient pas accès aux bourses. Tandis que son futur mari avait bénéficié de ce système pour l’ensemble de ses études secondaires et supérieures, il lui avait fallu se placer à Paris, comme employée de maison, pour pouvoir financer sa pension durant ses années de collège. Pour sa formation d’infirmière et infirmière-visiteuse à la maison de santé protestante de Bordeaux, elle put bénéficier d’une bourse mais elle devait un an de travail à l’institution après son diplôme. Et si elle percevait, pour cette année, 1200 francs de salaire, ce n’était qu’une petite compensation des 1500 francs qu’elle avait dû régler pour ses frais de trousseau imposés à chaque élève, même boursière, de la brillante école Florence Nightingale.

Ayant suivi ses formations en salles de médecine, de chirurgie, de maternité ; ayant été employée au service du dispensaire, de la pharmacie et de l’administration hospitalière, satisfaisant d’autre part aux ‘conditions morales requises’ et ayant exercé des tâches de garde-malade visiteuse, Louise Ropars fut diplômée. Elle avait pu améliorer sa situation financière en entrant, durant quelques mois, au service privé, en sanatorium, de la compagne du ministre Georges Mandel qui devait être assassiné par la Milice en 1944. Elle paracheva son expérience au sein de l’association d’hygiène sociale de l’Aisne, héritière de l’association américaine pour les régions dévastées. Payée alors 530 francs par mois, pour 27 jours ouvrés, elle affrontait la pauvreté des autres et tentait de les aider à sen sortir. Au volant de sa 5 HP Citroën, elle était accueillie dans les villages, comme celles qui l’avaient précédée, c’est à dire par les cris des enfants lançant à leurs mères : voici l’Américaine !

Comme de 1917 à 1924, au temps des volontaires d’Anne Morgan 12, le groupe de l’AHSA continuait à développer, dans les années trente, un service social sur les critères américains. Il ne recrutait donc ses équipières qu’à la maison de santé protestante de Bordeaux considérant que c’était le seul centre d’enseignement à respecter les critères requis. A partir de 1937, Louise Ropars accomplit son service dans l’Aisne au bénéfice des populations les plus démunies. En 1940, au temps de l’exode, elle assista jusqu’en Vendée les familles qu’elle avait prise en charge puis revint à Soissons. Elle y demeura un membre actif des auberges de jeunesse et voulut ignorer l’hostilité de Vichy et des forces d’occupation. En février 1941, elle écrivait : « Les auberges sont toutes fermées. Je crois que nous avons été trop bruyants. Pour le moment, ce n’est pas trop grave. Nous continuons les sorties jusqu’au jour où, tous en bloc, on nous emmènera à la Kommandantur ».

Son point de vue sur la politique de l’État Français était sans concession. Ce n’étaient pas les enquêtes à n’en plus finir du Secours National qui la dégoûtaient mais le chef de l’Etat et ce qu’elle désignait comme « le triomphe infernal du mensonge ». Dans une longue lettre à celui qui allait venir lui demander de devenir sa fiancée officielle, ses jugements étaient catégoriques : Le Maréchal ‘hait les mensonges’. Je me demande pourquoi il ne l’a pas dit un peu plus tôt. Il fait ‘don à la France de sa personne’. Pauvre vieux ; en attendant il en a conduit beaucoup au tombeau en 14-18 et en 39-40 et il est toujours bien vivant. « Tous ces gens me dégoûtent profondément. Je n’essaie peut-être pas de les comprendre mais ils ne m’intéressent pas du tout. Ils n’ont que des phrases à vous dire. Les mots avec eux perdent toute leur valeur. Le chômage sévit plus que jamais ; à quoi peut bien servir le Secours national ? Tous ces foyers tristes où la maman a 7 francs et les enfants 4,50 frs et où, en plus, on se prive pour envoyer quelques chose au prisonnier qu’on ne reconnaît même plus sur les photos.(…) Des prisonniers se sauvent tous les jours des camps de Soissons. Ils se débrouillent très bien. A part cela, je suis contente d’avoir beaucoup de travail. Dans la mesure de nos moyens, on peut quand même réconforter quelques détresses ». Clarté sur les événements, vigilance, fidélité aux valeurs républicaines comme aux préceptes inculqués dans l’école primaire protestante que les mineurs gallois financèrent dans le centre du Finistère après la première guerre mondiale : tels me semblent les choix de la jeune femme qui épousa, en août 1941, un enseignant qui s’était voulu d’abord, à l’époque, un militant politique. Bretons par leurs familles, résistants par choix, ils se sentirent parfaitement en phase avec l’éloge de leur province, prononcé à la Noël 1941, par le général de Gaulle : « L’invasion, la trahison ; la corruption ne mordent pas mieux sur elle que la tempête ne mord sur le granit armoricain (…) Parmi les morceaux de la France qui lui garde son âme prisonnière, aucun ne la garde mieux que la Bretagne ». Réuni de l’été 1941 au printemps 1969, le ménage Foulon incarne un couple de militants sociaux ; il passe de la Résistance à la période de la reconstruction et des ‘Trente glorieuses’ en continuant d’agir pour une Politique démocratique, pour une Société moins injuste, pour une Université accueillante aux classes populaires.

Si Louise Foulon ne fut, après la Résistance, qu’une femme au foyer durant quelques trimestres – notamment pour voir grandir son fils aîné et sa fille Hélène, née le 16 mars 1945 -, elle choisit de prendre la responsabilité des services sociaux universitaires dès 1946. Elle ne s’en éloigna qu’à

cause de la longue maladie qui la frappa en 1968. Dans le cadre du développement de l’Hygiène Scolaire et Universitaire, prévu par un décret du 18 octobre 1945, elle devint le pilier à la fois des œuvres universitaires et de la médecine préventive universitaire. Concevant les fiches de suivi des étudiants, les aidant à préparer leurs dossiers de bourses, facilitant leur accès à des logements en cités ou à des fonds de solidarité, elle obtint après neuf années où elle fut la seule assistante sociale universitaire en Bretagne, une collègue qui fut affectée au centre régional des oeuvres universitaires. Ses dernières treize années d’activités professionnelles se concentrèrent alors exclusivement sur la médecine préventive. Madame Foulon fut au cœur de la lutte contre la tuberculose en milieu étudiant et mena d’ardentes campagnes pour les vaccinations du BCG. Elle sauva concrètement des vies et la victoire qu’elle obtint en la matière, il convient de la mesurer en citant l’objectif actuel de l’organisation mondiale de la Santé : atteindre l’éradication de la tuberculose, en 2035 ! Grâce à une propagande intensive et persuasive, elle put faire détecter les malades contagieux. Elle fit placer dans les sanatoriums qui existaient encore toutes celles et tous ceux qui avaient besoin de soins plus longs. Elle s’investit ensuite dans le soutien psychologique aux étudiants arrivant dans la capitale bretonne.

S’occupant à la fois des étudiantes et étudiants des quatre facultés, elle surveillait aussi la santé dans les écoles régionales d’agriculture ou des beaux-arts. Elle ne manqua pas d’attirer l’attention des autorités académiques sur un fait qui lui semblait essentiel : « la croissance arithmétique du nombre d’étudiants aboutit à une croissance presque géométrique du nombre d’inadaptés à la vie universitaire ». Simultanément elle luttait contre les ravages de l’alcoolisme dans le milieu des facultés et étendait sa lutte pour le relèvement d’anciens buveurs au delà du monde de l’enseignement. Elle était là encore en phase avec son mari, co-fondateur du comité départemental de lutte contre l’alcoolisme. Ils animèrent ensemble la branche française de l’organisation internationale des Bons Templiers dont les adhérents sont d’abord scandinaves. Mais elle fut aussi, aux côtés de Charles Foulon, la bienveillante hôtesse des professeurs étrangers qui venaient à Saint- Malo pour perfectionner leur connaissance de la langue et de la culture française. Faisant découvrir les beautés touristiques bretonnes, elle acceptait aussi de se faire cuisinière pour les plus passionnés d’entre eux. Un soir de 1965, un professeur américain lui décerna ce que j’ai envie de qualifier de citation : « Madame Foulon, c’est une dame dont l’étendue de son énergie et la largesse de sa charité sont presque incroyables et certainement inoubliables ».

Quatre ans plus tard, sa mort survint des suites d’un cancer consécutif à des irradiations sur son lieu de travail, au soir du 6 juin 1969 – au 25e anniversaire du débarquement de Normandie. Dans le florilège des hommages qui parvinrent aux siens, qu’il me soit permis de relever sept messages 13:

  • –  celui d’une descendante d’Ernest Renan, Madame Siohan-Psichari qui écrivit:«las ociété française perd en elle une personne absolument exceptionnelle. Ce sont ces grands caractères qui cimentent l’honneur même de notre pays »
  • –  celui de Robert Davril, ancien directeur de l’Enseignement supérieur au Ministère de l’Éducation Nationale se rappelant que, parmi les souvenirs de ses années rennaises, demeurait « l’image de l’inlassable dévouement de Madame Foulon aux souffrances et au malheur des autres » ;
  • –  celui du médecin-général Maud et saluant dans sa courte vie « un exemple admirable de courage, de dévouement et d’intelligence, tant dans le rôle périlleux qu’elle a joué auprès des héros de la Résistance, que dans l’accomplissement de ses hautes fonctions » ;
  • –  celui du Recteur d’Académie Jacques Bompaire définissant la disparue : « c’était l’activité intense et souriante, le sens du service, la compréhension de toutes les misères et de toutes les injustices »
  • –  celui du professeur Jean-François Botrel, ultérieurement Recteur d’Académie qui tint à écrire: « c’était le dévouement individuel à la cause commune. Avec sa disparition, c’est un espoir qui meurt » ;
  • –  celui de la bibliothécaire honoraire de Soissons, Victorine Vérine, qui rappela que Louise Ropars s’était faite une propagandiste ardente du système des bibliothèques circulantes, ancêtres des bibliobus municipaux et conclut qu’elle gardait « le souvenir d’une personne d’élite dont les contacts, d’un plaisir sans mélange, étaient réconfortants ;
  • –  celui du Docteur Daniel Douady, président de la Fondation Santé des Étudiants de France, ancien directeur de l’Hygiène scolaire et universitaire au Ministère de l’Éducation Nationale, qui avait dit autrefois : Mme Foulon fait partir du décor de la Médecine préventive universitaire en France et qui tint à affirmer : « Son dévouement aux étudiants rennais – dont beaucoup lui doivent la vie – est connu de tous ceux qui travaillent dans la Fondation. Pour l’Université de Rennes, c’est une très grande perte ; de tels dévouements ne se retrouvent pas ».

C’est à grands traits que j’ai tracé le quart de siècle que Louise Foulon put encore vivre après la Libération et je tiens à achever cette évocation d’une douzaine de mots d’une de ses admiratrices : Parmi nous tous, elle était celle qui sait rendre les gens heureux !

Je reviens maintenant sur le parcours de son mari qui a rejoint leur tombeau commun en février 1997, tombe malouine sur laquelle sont gravés deux citations bibliques : près du nom de Louise, j’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la foi ; près du nom de Charles, Heureux sont qui ont faim et soif de justice.C’est en effet la soif de justice sociale qu’on discerne dans tout le parcours de Charles Foulon qui tenait à honneur de figurer dans le dictionnaire Maitron14. La fin de l’occupation de la Bretagne en août 1944, son retour du Finistère où il avait trouvé un lieu de combats mais aussi, dans la famille de sa femme, un refuge, n’avait évidemment pas signifié, pour Charles Foulon, la fin de son désir d’agir. Il fut d’abord, jusqu’à l’automne 1945, le très actif secrétaire du comité de Libération d’Ille-et-Vilaine. Son ardeur à permettre une épuration juste lui valut l’excessif surnom de Fouquier-Tinville breton et quelques menaces sous forme de cercueils et de cordes de pendu… Sa pression sur le comité de confiscation des profits illicites a puissamment contribué à ce que l’Ille-et-Vilaine, au 30e rang des départements les plus riches, atteigne le 12e rang des départements où le Trésor Public récupéra le plus des fortunes mal acquises, pour un total qui dépassait, en mars 1946, la somme de 89 millions de francs. Ceci lui valut l’estime de René Pleven, alors ministre des Finances et pilier du développement de la Bretagne. Certes, le fondateur de l’Union démocratique et socialiste de la Résistance, compagnon de Charles de Gaulles depuis 1940 avait des réserves devant ce que le préfet d’Ille-et-Vilaine définissait comme la ‘pointe révolutionnaire’ de Charles Foulon. Mais, comme Marie-Madeleine Dienesch, autre résistante agrégée et future députée puis ministre, les démocrates-chrétiens bretons reconnaissaient l’efficacité de son action pour une épuration. Moins qu’ailleurs on ne vit en marche une mauvaise justice et, à la cour d’Appel de Rennes, la confiance du Premier président Kerambrun lui fut d’autant moins ménagée que ce haut magistrat avait présidé, à la fin de la clandestinité le CDL d’Ille-et-Vilaine. Casamayor devait expliquer, plus tard, avec humour, la différence de la pêche et de la justice de la Libération : plus les poissons étaient gros, plus facilement ils passèrent à travers les mailles du filet d’autant que leurs avocats surent différer leurs dates de jugements jusqu’à parfois cinq années !

Je tiens donc à réaffirmer qu’avec le concours du Commissaire régional de la République Victor Le Gorgeu, ancien sénateur-maire de Brest – la cité portuaire où Charles Foulon avait fait toutes ses études et reçut le grand prix de la ville -, Charles Foulon et le CDL d’Ille-et-Vilaine surent être des éléments de reconstruction d’un ordre républicain démocratique15. Dans un esprit de vraie justice, Charles Foulon fut aussi, au sein de la SFIO, le rapporteur de la commission d’épuration des parlementaires socialistes. En demandant l’exclusion de 85 d’entre eux, il renforça une réputation de révolutionnaire à la Saint-Just ce qui devait faciliter son exclusion du vieux parti socialiste en 1947. Ses treize années antérieures d’adhésion, son ardeur à constituer en Finistère des groupes de Jeunesses socialistes au temps du Front populaire, son rôle pour reconstruire – avec Tanguy-Prigent – des réseaux socialistes dans la clandestinité ne comptèrent pas alors aux yeux d’un Guy Mollet qui avait pourtant conquis le pouvoir par la gauche du parti socialiste . Le militantisme de Charles Foulon reprit alors au Mouvement socialiste unitaire et démocratique puis dans les deux Partis socialistes unifiés. Secrétaire national du premier PSU, secrétaire fédéral du second, il soutint Pierre Mendès France qui le recommanda chaleureusement aux électeurs en mars 1967. Il obtint alors plus de 30% des suffarges mais, de 1945 à 1969, Charles Foulon allant à la bataille – comme il aimait le dire –  »avec son drapeau largement déployé », fut l’inamovible candidat battu de la gauche unie. Il subit aussi les manoeuvres étranges qui, au temps du Cartel des Non de 1962, aboutirent à ce que le Parti communiste le traite de diviseur de la gauche car il refusait son soutien à un candidat du Centre national des indépendants considérant qu’entre l’UNR et le CNI, il n’avait pas à choisir. En 1965, il fut délégué en Ille-et-Vilaine de l’association pour l’élection de François Mitterrand puis, à partir de 1969, il limita son action civique à la Ligue des Droits de l’Homme. Il la présida pour la région de Saint-Malo, anima sa section de Rennes et fut membre de son comité central puis membre honoraire pendant presque deux décennies. Le printemps 1969 fut un tournant de sa vie puisque son épouse décéda le 6 juin ce qui signifia, selon ses propres mots ; le début de sa vieillesse alors qu’il avait devant lui encore 28 ans de vie. Toutefois son engagement professionnel dans l’université ne cessa pas.

Commencé en 1942, il n’allait s’achever qu’en 1992. Ses maîtres de la Sorbonne l’avaient accusé en étant un résistant actif de faire l’école buissonnière et il ne soutint sa thèse qu’au début des années 50. Mais il fut dès lors un remarquable professeur de langue et littérature française du Moyen-Âge et de la Renaissance. Titulaire d’une chaire prestigieuse, il dispensa son savoir non seulement à Rennes mais aussi à Nantes et à Brest avant que ces deux villes ne bénéficient d’universités de plein exercice. Enseignant aux cours universitaires pour étrangers à Saint-Malo, il en devint le directeur de 1963 à 1977, accueillant jusqu’à 800 étudiants dont certains venus de Chine Populaire. Au sein de la faculté des Lettres puis de l’Université de Haute Bretagne, l’enseignant toujours attentif aux étudiants les plus modestes fut aussi directeur du laboratoire de phonétique (1966-1972) puis directeur de l’Institut de Français où il développa, de 1972 à 1976, le travail sur le parler gallo. Après avoir, en sage doyen, dirigé l’unité d’enseignement et de recherche de Littérature de 1976 à 1980, il fut professeur associé aux États-Unis. De retour en Bretagne, comme professeur émérite, il servit encore l’université jusqu’en 1992, atteignant des noces d’or universitaires. Lorsque, au cœur du complexe universitaire de Rennes-Beaulieu, là où avait été inauguré, en juin 1970, le centre de médecine Louise Foulon, le maire de Rennes dévoila la première plaque de l’avenue Professeur Charles Foulon, Michel Denis, président de l’université, salua légitimement le professeur-citoyen, unissant sa mémoire et celle de sa compagne des bons et des mauvais jours, mère de ses trois enfants. Avant de conclure, c’est au message d’action de cette dernière que vous me permettrez de revenir.

La volonté de réconforter autour d’elle, exprimée dans sa lettre du début 1941, Louise Foulon en a fait preuve pendant toute sa période d’activité au sein de l’université de Rennes. Comme devait l’écrire le président d’une association rennaise : « il suffisait qu’elle ait connaissance d’une détresse pour qu’aussitôt elle se porte au devant ». Son énergie n’a été brisée que par la longue maladie qui, entre l’automne 1968 et le printemps 1969, a emporté ses forces. Cependant sa morale de l’action, elle a réussi à l’exprimer une dernière fois en modifiant, pour son premier petit-fils, la fin du conte de Daudet sur la chèvre de M. Seguin. Elle enregistra le début de l’histoire en respectant son auteur et en racontant le long combat nocturne de la chèvre contre le loup sauvage. Mais elle trouva une autre conclusion à ce récit : elle fit surgir, dans la montagne, Monsieur Seguin armé d’un fusil pour abattre le loup. La morale qu’elle en tirait était dans la ligne de ce qui l’avait inspiré au temps de la Résistance : M. Seguin sauvait sa chèvre parce qu’il avait eu le courage de venir se battre pour la défendre contre son prédateur. La citoyenne restait une militante, encore prête à demander la formation des bataillons pour repousser les féroces soldats ennemis. Cette morale me semble n’avoir pas vieilli en ce temps où le terrorisme veut détruire les valeurs démocratiques.

Peu avant son bref et inutile séjour au centre anti-cancéreux Gustave Roussy, à Villejuif, Louise Foulon écrivait encore à Hélène Bergeron, secrétaire générale de la confédération française des professions sociales16 – – qu’il était possible qu’on puisse travailler de toute son âme pour un idéal sans qu’il se réalise pendant notre séjour terrestre. Elle ajoutait : il se trouve après un héritier du message d’action qui « va continuer le travail contre vents et marées » et être même capable de canaliser, à contre-courant, le courant principal. La vertu de la lutte pratiquée et prônée par Louise Foulon, son mari l’a pratiquée au sein de la Ligue des Droits de l’Homme. L’esprit de libre examen, la foi dans la justice, la défense des idéaux républicains ont animé toute sa vie. Je veux croire que celles et ceux qui entendent faire progresser la compréhension entre les peuples et la paix peuvent méditer des phrases écrites par Charles Foulon, pour Louise, son autre soi-même, le 9 juillet 1945 : « Le jour où l’on comprendra sans effort, comme une vérité reconnue, que tous les travailleurs du monde sont pareillement exploités par des hommes qui sont les profiteurs de leur esclavage et de leurs querelles, alors on pourra espérer que la fraternité internationale est proche. D’ici là, les gens sont indifférents aux étrangers lointains, détestent les étrangers les plus proches/ Et une minorité ‘fait un effort’ pour comprendre. Une minorité encore plus petite est déjà arrivée à comprendre mais ne sait pas encore assez aimer ».

La compréhension du monde dont témoignait Charles Foulon s’était nourrie de ses liens avec les franc-maçons du Grand Orient. Il cotisa à la loge brestoise multi-séculaire, Les Amis de Sully17 , de 1936 à sa mort. Il soutint fidèlement la famille de son premier Vénérable, Jules Le Gall, mort en déportation. Il fut heureux que son épouse Louise Foulon soit reçue, à titre posthume, en juin 1969, au sein de l’obédience mixte du Droit Humain.Sa fille Hélène y a retrouvé ce sens du dialogue laïc et de la tolérance qu’elle veille à pratiquer aussi à la Grande Loge féminine et au sein du conseil presbytéral de l’église réformée de Saint-Malo et de la Côte d’Émeraude. Jacques, le fils aîné de Louise et Charles Foulon, a montré lui aussi la vertu de l’engagement en fondant la CNL-35 et en exerçant les responsabilités de président de la Confédération nationale du Logement en Bretagne de 1998 à 2008. Il fut l’inlassable défenseur des petits, œuvrant sans relâche jusqu’à ses derniers jours alors même qu’il se trouvait en service de soins palliatifs, à l’automne 2009.

Louise Ropars-Foulon et Charles Foulon ont été, en leur siècle, de très vaillants militants. Ils ont agi dans une fidélité totale à l’esprit de la Résistance, dans le plein sens des paroles inventées pour Le Chant des Partisans, par Maurice Druon et Joseph Kessel : Ami, si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place … La liberté nous écoute ! Ils me semblent avoir été, dans tous leurs combats, fidèles à la définition du vrai militant telle que Daniel Mayer la donna jadis : celui ou celle qui, avant une réunion, se dit « chic, ce soir, je vais retrouver les copains » !

C’est par fidélité à leur inlassable courage militant que je veux conclure ce texte, en y rappelant les mots du poète Jean Tardieu qui furent lus devant la tombe ouverte de Vercors – nous nous retrouverons dans le passage sans fin de l’éphémère… Et même si mes derniers mots vont avoir 170 ans, je suis heureux de les citer – ils sont du grand républicain Victor Hugo et datent de 1846. Ils nous relient à toutes celles et à tous ceux qui se sont battus pour la Liberté, l’Égalité et la Fraternité :

« Nous ne les entendons plus rire en nos nuits noires. Nous voyons seulement, comme pour nous bénir, Errer dans notre ciel et dans notre mémoire Leurs figures, nuages et leurs noms, souvenirs ».

Charles-Louis FOULON-ROPARS

Notes :

1  Rapportée dans mon livre, François Mitterrand, un siècle de passions, Ouest-France, 2015, pp. 20-21.

2  Id., p. 29.

3 A la différence avouée par Mitterrand en juillet 1945 (ibid, p. 17).

4 Télérama, n° 3438 du 2/12/2015

5  Mais je ne pouvais, comme vieil historien et jeune président délégué du conseil scientifique du Musée de la Résistance nationale, résister aux aimables sollicitations de l’équipe qui anime ces colloques sous l’autorité de Georges Duffau-Epstein et à celles du conservateur du Musée, le cher Guy Krivopissko.

6  J’ai un vif plaisir à signaler que les villes chefs-lieux des départements des Côtes d’Armor et du Morbihan semblent prêtes à suivre l’exemple rennais, selon les courriers envoyés les 10 août et 30 juin 2015 par MM. Bruno Joncour et David Robo, respectivement maires de Saint-Brieuc et Vannes. Ces décisions devraient faire suite à l’hommage que doit lui rendre, dans son département natal, la ville de Quimper dont une commission a retenu le nom de Louise Foulon-Ropars, le 9 juin 2015, « pour l’identification d’une future voie ou d’un espace public de Quimper ».

7  Laurent Douzou, La Résistance française : une histoire périlleuse, Points Seuil Histoire, 2005 (pp. 230-231 dans la partie  »Une historiographie remise en cause et renouvelée »).

8  En ouvrant un colloque organisé à Rennes, pour le centenaire de la réhabilitation d’Alfred Dreyfus ; les actes de ce colloque ont été publiés en 2007, sous le titre L’affaire Dreyfus. Nouveaux regards, nouveaux problèmes (Presses Universitaires de Rennes.

9  S’agissant de Raymonde et Charles Tillon, on peut relire leurs deux livres de mémoires – pour Raymonde, aux éditions du Félin, en 2001, J’écris ton nom Liberté et pour Charles, On chantait rouge chez Laffont en 1978. Pour les Farnoux, la dignité de Grand-Croix de la Légion d’honneur conférée à Yvette Bernard-Farnoux et celle de Grand Officier du même ordre décernée à Abel suffisent à mesurer ce que furent leurs engagements résistants et civiques.

10  Sur ce dernier couple, on peut lire d’André Martel, Félix et Colette Pijeaud. Deux héros oubliés de la France libre (Privat, 2006). Les Hackin et Félix Pijeaud bénéficient de notices établies par Wladimir Trouplin dans le Dictionnaire des compagnons de la Libération, Élytis, 2010 (pp. 485-486 et 823-824).

11 dont l’un est devenu l’illustration de la page 177 d’Ici Londres, les Voix de la Liberté, tome IV, La forteresse Europe, où est reproduit le texte du Chant des partisans tel qu’il fut lu le 9 février 1944.

12 Voir l’ouvrage Des Américaines en Picardie. Au service de la France dévastée 1917-1924, Réunion des Musées Natonaux, 2002 (Dir. Thomas Compère-Morel et Anne Dopffer).

13 Parmi les centaines conservées aux Archives municipales de Rennes.

14 Sur Charles Foulon, il est possible de se reporter à sa notice dans le Maitron, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français et à la très belle synthèse de François Prigent, publiée dans le numéro de mars-avril 2014 de la revue Place Publique, aux pages 89-93 : « Charles Foulon, une vie d’engagement (s) ».

 15 Sur les Commissaires régionaux de la République, mon étude des années 70 – publiée, en 1975, avec une préface de René Cassin, sous le titre Le pouvoir en province à la libération vient d’être résumée dans l’ouvrage que j’ai co-écrit avec Arnaud Benedetti : L’ordre républicain dans des circonstances exceptionnelles, économica, 2015 (avec une préface de Jean-Louis Debré, président du Conseil Constitutionnel.

16 Une ancienne de Soissons, marraine de son fils Jacques, sœur de Paul, résistant de l’OCM, et fille de Louis Bergeron, résistant qui représenta la Savoie à l’Assemblée consultative provisoire.

17 Voir, de Jean-Yves Guegant, Brest et la franc-maçonnerie. Les amis de Sully des origines à nos jours, éditions Arlemine, 2008.