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PHOTOS : COMRA

par Dominique Durand, Président de l’Association Française Buchenwald-Dora et Kommandos

La période sur laquelle vous m’avez demandé d’évoquer le couple Pierre Villon Marie-Claude Vaillant-Couturier est courte : deux années. C’est sans doute pour Marie-Claude Vaillant Couturier celles qui furent les plus difficiles. Jusqu’en juin elle est à Ravensbrück, et elle ne revient que fin juin à Paris pour être immédiatement plongée dans le bain politique : elle est élue au comité central du Parti communiste au Xe congres qui suit la victoire, en juin 1945, et qui débute le lendemain de son retour ; en juillet, elle est présentée par ce Parti à l’Assemblée consultative. En octobre elle le sera à la Constituante; elle va devenir, dans quelques mois secrétaire générale de la Fédération démocratique internationale des Femmes dont le congrès de l’Union des Femmes Françaises, qui a précédé de quelques jours son retour à Paris à donné le coup d’envoi. En Janvier 1946 elle témoigne au Procès de Nuremberg et entre temps a fait de nombreuses interventions sur ce qu’elle a vécu de janvier 1943 à avril 1945. Elle a rendu visite au journal l’Humanité, une visite de la veuve de Paul, le rédacteur en chef emblématique dont le nom figure encore (à l’époque) en manchette du journal sous celui de Jaurès, de la collaboratrice de Péri, de Sampaix, de celle qui, avec Pierre Villon a assuré la sortie de l’Humanité clandestine. Et puis, quand même, elle est partie se reposer, après une courte hospitalisation, en Savoie, une quinzaine de jours, avec Thomas, le fils de Pierre, avant qu’il ne reprenne l’école, en octobre 1945. La famille habite, dans un appartement donnant sur le Palais-Royal. Ce n’est qu’en juillet 1945 qu’ils débutent vraiment une vie commune qu’ils n’avaient pratiquée que par épisodes brefs d’avril 1940 au 9 février 1942, et dans la clandestinité : « J’avais peur qu’il ne m’est pas attendue, dit-elle. C’était aussi partiellement un inconnu pour moi. Nous n’avions vécu que 6 mois ensemble, 5 ans auparavant, puis 3 semaines, trois ans et demi avant ». Il l’a attendue. Il a même tenté d’aller la chercher à Ravensbrück quand il a appris qu’elle s’y trouvait, mais a échoué, le passage de la zone anglaise de l’Allemagne à la zone soviétique s’avérant impossible.

Un dernier point, qui n’est pas négligeable, dans cette présentation très abrupte, La Marie-Claude qui revient des camps est auréolée du qualificatif de « sainte » que lui a attribué le journaliste Remy Roure dans le Monde. Elle a été la compagne de militantisme puis de captivité de Danielle Casanova, une icône du Parti, elle porte un nom prestigieux, qui résonne dans les mémoires du Front-Populaire. Marie-Claude fait la couverture du journal des Femmes Françaises, de l’hebdomadaire Regards et nombreux sont les militants qui vont lui demander de parrainer leur petite fille à qui ils viennent de donner le prénom de Marie-Claude, en concurrence avec celui de Danielle

On a beaucoup parlé de l’épreuve que constitue le retour pour les déportés, de leurs traumatismes. La réadaptation, disent les Femmes de Ravensbrück, « il semble qu’elle se soit faite plus rapidement chez celles qui étaient engagées idéologiquement : la détention n’a été qu’une coupure dans la vie de certaines d’entre elles ».

Une coupure, une (simple) coupure. Marie-Claude a craint ce retour, comme elle l’a écrit dans une lettre à sa sœur. Mais elle ne l’a pas craint pour elle-même : « Je me rends bien compte des difficultés qu’il y a en France, mais l’atmosphère doit être à la lutte et cela m’enivre quand j’y pense. On aura du mal mais il doit y avoir, pour s’opposer à la réaction, un grand désir de neuf, de reconstruction sur une base nouvelle, enfin ! Surtout parmi la jeunesse. Cependant je ne me fais pas d’illusion comme certains qui croient que lorsque nous rentrerons tout fonctionnera comme sur des roulettes ; je pense au contraire qu’il va y avoir des années de lutte sur tous les plans. Mais enfin, il y a un pas de fait, on est sorti de l’esclavage et c’est déjà énorme ».

Pierre Villon : L’homme qu’elle retrouve est devenu un personnage qui compte dans la vie politique française. Clandestin depuis le 9 avril 1940 jour de parution du décret Sérol qui menace de la peine de mort les activistes communistes, il a assuré la rédaction avec Lucien Sampaix, et la publication de l’Humanité clandestine jusqu’en juin puis plus globalement la direction des éditions clandestines du parti ( cahiers du Bolchévisme, Université Libre) jusqu’en octobre, son arrestation et son internement en avril 1941 à Aincourt d’abord, puis Rambouillet et enfin Gaillon. Un temps écarté de la Résistance par son arrestation puis l’arrestation de Marie-Claude, il s’évade en janvier 1942 et rapidement reprend du service. Il va s’imposer comme l’un des dirigeants nationaux de la Résistance intérieure française. Membre fondateur du Conseil National de la Résistance (CNR) au titre de représentant du Front national de lutte pour l’indépendance de la France, il a été le premier rédacteur du fameux programme du CNR et c’est autour de son texte que la discussion s’est organisée. Il a par la suite été le président du Comité d’action militaire du CNR, le COMAC et, le 28 aout 1944, le général de Gaulle lui a proposé un portefeuille ministériel, qu’il a refusé. Il est membre de droit de l’Assemblée consultative provisoire, il en préside sa commission de défense nationale. Depuis août 1944 il siège, comme suppléant, au Comité central du Parti Communiste Français et même, officieusement, à son Bureau politique

En cette fin du mois de juin 1945 celui qu’a retrouvé Marie-Claude est plongé jusqu‘au cou dans la recomposition du paysage politique français, où dominent deux forces réelles : le Parti communiste et de Gaulle, et où les communistes cherchent avec insistance à passer un pacte avec les socialistes de façon à s’opposer au général. Ils soupçonnent celui-ci de préparer une « dictature parlementaire ». « Je vole d’une réunion à l’autre, relisant dans ma voiture mes dossiers, entre deux rendez-vous, préparant mes interventions » disait Villon à Claude Villard en parlant d’août 1944. Son mode de vie, un an plus tard, n’a pas changé.

Nous sommes donc face à un couple de militants communistes embarqués dans la reconstruction de la France et d’âpres batailles politiques que scandent, sur le plan national, des rendez vous électoraux rapprochés et des crises politiques, et, sur le plan international, la mise en ordre neo coloniale et les débuts de la guerre froide, marqués par le discours de Churchill à Fulton, dans le Missouri, le 5 mars 1946.

Rappelons quelques dates :

  • Assemblée consultative provisoire (novembre 1943, août 1945)
  • 1er assemblée constituante (33 femmes députées) 21 Octobre 1945 élections et referendum : approuvez vous que l’Assemblée élue ce jour soit constituante ?approuvez vous que les pouvoirs de cette constituante soient limités ? (PCF oui/non) résultats : oui/oui De Gaulle chef du Gouvernement le 13/11 /45
  • départ de De Gaulle le 20 janvier 1946… Félix GOUIN
  • mai 1946 : rejet du premier projet de constitution
  • 2e assemblée constituante juin 1946 (30 femmes)
  • référendum 13 octobre 1946 nouvelle constitution (4e République)
  • législatives 10 novembre 1946
  • 16 janvier 1947 Auriol Président de la République

L’engagement de MCVC et Pierre Villon est un engagement total qui les emploi à plein temps. Thomas qui vit avec eux en souffrira. C’est un engagement sans faille, ce qui ne veut sans doute pas dire sans états d’âme.

Pierre Villon a été l’un des fondateurs du Front National. Fin mai 1941, le PCF avait proposé une alliance à tous ceux qui voulaient « agir en Français », sauf « les capitulards et les traîtres». D’abord informel, ce « Front national » s’était structuré au printemps 1943 en un mouvement de Résistance – le « FN ». La Libération venue, Pierre Villon, tenta vainement d’en faire le socle d’une union organique de la Résistance en un mouvement « patriotique et civique » de « renaissance française » soutenu par le Parti. Il échoua. L’acmée de ce processus se situe en juillet 1945 avec des Etats généraux de la Renaissance française. Pourtant, des juin, le PCF a commencé à pencher pour une alliance avec le PS et la formation d’un nouveau parti ouvrier.

L’historien Daniel Virieux a analysé ce retournement. Il écrit que « cet échec fut aussi celui de résistants que le FN avait su recruter dans des milieux peu ou prou classés à droite et qui avaient espéré prolonger l’alliance de combat « contre » par une action politique unitaire « pour ». Prévisible, la déception de ces espérances n’était pas fatale. Certes, « démissions et scissions se seraient produites même si nous [les communistes] n’avions pas commis certaines erreurs », écrit Pierre Villon, quarante ans plus tard, mais, souligne-t-il, « nous aurions pu sauvegarder certaines alliances, garder des compagnons de combat ». Diagnostic réversible : les droites françaises n’ont pas su et/ou voulu tirer parti du capital résistant accumulé au titre du Front national.

Le Parti communiste dans son congrès de juin 1945 a tracé la ligne. Le PCF a fait le choix de devenir, pour la première fois de son histoire (et ce jusqu’en 1947), un parti de gouvernement. Dès l’automne 1944, des ministres communistes ont été nommés ; ils seront cinq après les élections de l’automne 1945. 
Le PCF promeut alors un programme politique en faveur de la Reconstruction de la France (notamment par la « bataille de la production »), dans un état d’esprit d’Union nationale. . Les grands partis de rénovation – communiste, socialiste, radical, les organisations chrétiennes, les grandes centrales syndicales – doivent s’unir autour d’un programme minimum pour la libération politique, sociale et économique de la France. C’est ce discours qui transparait tout au long du Xe congrès, c’est ce qui transparait des positions de Villon qui a réussit à fédérer au sein du Front national, ces différentes composantes

En janvier 1945 il est intervenu au comité central sur le Front national et la question de l’Unité. En mai, toujours au Comité central, il a fait le point sur l’état des organisations issues de la Résistance : Front national, Union des Femmes Françaises, Mouvement de libération nationale, Organisation civile et militaire, Mouvement de Libération vengeance, et Conseil national de la Résistance. Le parti a cherché à rassembler toutes les forces résistantes. Villon a été l’un des animateurs de cette volonté. Il a essayé, début 1945, de fusionner le Front national avec le MLN. Échec. Le Mouvement de Libération nationale est issu, en janvier 1944, de la fusion des Mouvements unis de la Résistance de Zone sud et de Défense de la France en Zone nord. En janvier 1945 il a refusé de fusionner avec le Front national. Début juin, il s’est prononcé pour une fusion fédérative avec Libération Nord, l’OCM et éventuellement, Ceux de la Résistance. Fin juin, ses responsables les plus proches des communistes, la minorité, ont quitté le MLN pour fonder le Mouvement Unifié de la Renaissance Française : quelques noms : Jacques Debu-Bridel, Emmanuel d’Astier de la Vigerie, Pascal Copeau, Marcel Degliame-Fouché, Pierre Hervé, Maurice Kriegel Valrimont, Alfred Malleret-Joinville. La majorité va participer à la création de l’UDSR, l’Union démocratique et socialiste de la Résistance. L’un de ses premiers présidents sera René Pléven. Le dernier, en 1959, sera François Mitterrand.

Nous sommes là dans des enjeux politiques complexes dont Pierre doit discuter avec Marie-Claude mais dont je n’ai pas de traces. Quand ils sont ensembles, je suppose qu’ils en parlent. Quand ils sont séparés, ils s’écrivent, et c’est une source précieuse pour les Historiens.

Marie-Claude, dès son retour, a commencé ses interventions sur sa déportation, mais elle les place dans un but politique :

Elle fait savoir que si elle est restée au camp de Ravensbrück plus de deux mois après la libération du camp par les Soviétiques c’est « pour essayer de remplacer ceux et celles que le Ministère des prisonniers aurait du envoyer de France pour venir en aide à leurs semblables déportés et malades. Beaucoup d’entre eux sont morts après la Libération, continue Marie-Claude, faute d’un peu de réconfort. Ils ont eu l’impression navrante d’avoir été oubliés. Un sourire de France, quelques mots réconfortants leurs auraient faits tant de bien. On n’a pas fait ce qu’on aurait du faire. Les déportés ont été déçus mais pas découragés, ils sont prêts à lutter de nouveau pour que la France vive heureuse et libre. »

Celui qui est accusé est Le Ministre des Prisonniers, Henri Frenay, grand résistant, fondateur du mouvement Combat, qui n’a eu ni les moyens ni le temps et peut-être, effectivement, manqué de volonté pour dépêcher auprès des libérés cette aide que réclamait Marie-Claude.

Les Alliés lui ont mis la pression pour qu’il rapatrie au plus vite près d’un million de prisonniers, 730 000 travailleurs civils, volontaires ou appelés du Service du Travail Obligatoire, 40 000 déportés et 350 000 Alsaciens déplacés après l’annexion de l’Alsace par le Reich. C’était bousculer l’énorme mécanique qui prévoyait le blocage momentané des libérés dans leurs camps et l’instauration aux frontières d’une sorte de cordon sanitaire pour ceux qui auraient tenté de s’en affranchir. Les premiers retours, 8 000 par jour, qui s’éteindront fin juillet, ont commencé le 13 avril, après que le Ministre eut installé à la va vite, 432 centres d’accueil et réquisitionné, à Paris, la gare d’Orsay, la caserne de Reuilly, le vélodrome d’hiver, deux cinémas, le Rex et le Gaumont Palace, et l’Hôtel Lutétia, ce dernier réservé aux déportés.

Avec l’horizon des cantonales et des législatives, les prisonniers et les déportés représentent un enjeu politique. C’est aussi à cette aune qu’il convient d’apprécier le discours et les griefs de Marie-Claude à l’égard du ministère de Frenay. Celui-ci est un adversaire affiché des communistes et ce qui peut l’affaiblir est bienvenu. La campagne contre lui a commencé dès juillet 1944, à l’Assemblée consultative provisoire d’Alger. Elle a continué à Paris quand a été examiné le budget du ministère. On a parlé de lenteurs, de désordre, de négligence, de situation « tragique » voir de détournements. En mai et juin 1945 les attaques se sont intensifiées et elles ne proviennent pas que des communistes. Un certain François Mitterrand, vice-président de la Fédération nationale des prisonniers de guerre, y participe.

Mais le jugement de Marie-Claude n’a pas qu’une origine politique. Les incidents et manifestations qui se multiplient au moment de son retour contre l’action du Ministère des Prisonniers reflète une situation réelle, mais qui tient moins sans doute à l’incurie du Ministère qu’à la situation économique globale du pays. On voit même des manifestants revêtus de la tenue rayée des déportés manifester sous les fenêtres du ministère.

Pierre Villon était de droit membre de l’Assemblée consultative, Marie-Claude y a été coopté par le PCF

En octobre 1945, l’un et l’autre s’engagent dans la campagne pour la désignation de l’Assemblée constituante. Elle est élue dans la 4e circonscription de la Seine sur une liste conduite par Thorez. Pierre Villon, lui, est présenté dans la 3e circonscription de l’Allier, celle de Gannat, où sa notoriété de chef de la Résistance lui permet d’enlever facilement le siège.

Marie-Claude fait partie de ces candidates veuves d’hommes politiques illustres de la IIIe République ou de résistants, comme Péri ou Brossolette, mais qui ont elles-mêmes, un passé militant. Elles se présentent en général, et c’est le cas pour Marie-Claude, dans les circonscriptions de leurs maris.

Pierre est sur une terre de petits propriétaires agriculteurs communistes dont l’Allier et la Saône et Loire sont les rares exemples. Ce n’est absolument pas son milieu et s’il admire les paysages et apprécie l’accueil qui lui est réservé chez les militants, dans les courriers qu’il échange avec Marie-Claude son enthousiasme est tempéré.

Lui est membre de la commission de la Défense nationale.

Elle est inscrite à la commission de l’éducation nationale et des Beaux arts, de la Jeunesse, des sports et des Loisirs. Elle l’est également à celle de la presse, de la radio et du cinéma. Vous noterez qu’elle ne l’est pas à celle des Pensions civiles et militaires et des victimes de la guerre et de la répression. C’est Mathilde Péri et Denise Ginollin qui y représentent le parti

Sur l’année 1945, dans les tables des débats le nom de Pierre Villon apparaît 226 fois et 287 fois pour l’année 1946. Celui de Marie-Claude 257 fois en 1946, mais 29 fois seulement en 1945. Elle intervient à différents moments sur les questions familiales, les problèmes de l’enfance, notamment les questions d’adoption (la France est encore sous le régime du rationnement et des tickets)

Ils seront constamment réélus, pour elle jusqu’en 1973, elle laissera alors son siège à Georges Marchais, pour lui jusqu’en 1978 sauf entre 1962 et 1967. IL laissera son siège à André Lajoinie.

Dans l’immédiat après guerre c’est dans les questions concernant la défense nationale que pierre Villon se fait remarquer. Je rappelle qu’il est le président du COMAC et qu’il a combattu, à la Libération de Paris la stratégie attentiste et la trêve. Il ferraille avec Diethelm puis Michelet sur l’organisation militaire, les budgets, l’épuration, l’organisation de l’armée nouvelle. En novembre 1944 son premier discours à l’Assemblée consultative est pour l’intégration des FFI pour forger une armée nationale et démocratique. Il agace au plus haut point de Gaulle quand il demande, en janvier 1946, apres le départ du général, que les membres de la commission de Défense nationale de l’Assemblée constituante, qu’il préside, puissent bénéficier d’ordre de mission permanents pour exercer leur pouvoir de contrôle. Le général écrit à son successeur, Gouin , que cette possibilité d’inspection permanente et individuelle lui paraît contraire au principe de responsabilité du Gouvernement.

Ancien responsable du COMAC, (comité d’action militaire du CNR) il a participé en février 1944 à l’amalgame au sein des Forces françaises de l’intérieur des composantes armées des différents forces de la résistance : les FTP, l’AS, l’ORA. A partir d’aout 1944 l’amalgame concerne cette fois ci l’incorporation des Forces Françaises de l’Intérieur (environ 120 000 hommes) dans les troupes régulières de l’armée, c’est à dire des éléments de l’armée restés en métropole pendant l’occupation, des unités de l’armée d’Afrique et des FFL, auxquels il convient d’ajouter les prisonniers militaires libérés. Au total plus 1 105 000 hommes. En novembre 1945, de Gaulle nomme Edmond Michelet, député de la Corrèze, ancien du réseau Combat, au Ministère de la Défense nationale et le charge d’une mission claire : réduire le volume des forces armées à 700 000 hommes. Mais le budget en discussion à l’Assemblée n’accorde finalement que 500 000 hommes au Ministre avec lesquelles il faudra assurer

  • l’ occupation des zones françaises d’Allemagne et d’Autriche
  • le rétablissement souveraineté française en Indochine
  • le maintien de la paix dans l’ensemble de l’Empire et notamment en AFN
  • la participation éventuelle à la sécurité collective dans le cadre des Nations Unies

La réduction d’effectifs portera d’abord sur la démobilisation de la troupe (les classes 1939 à 1942), des officiers et sous officiers de réserve, le licenciement de personnel civil et l’épuration de ceux qui ne peuvent justifier d’une activité de résistance

Le Parti communiste, par l’intermédiaire de Pierre Villon défend une vision d’armée populaire, projet qui aboutira, après le départ des ministres communistes du Gouvernement, à une proposition de loi portant organisation de la Défense nationale que François Billoux et Pierre Villon déposeront à l’Assemblée nationale.

Les préconisations des communistes tiennent essentiellement à lier l’armée à la nation, en constituant une armée de masse grâce à la conscription, à la préparation militaire confiée aux organisations de jeunesse, à l’organisation de réserves régulièrement entraînées et formées au sein de groupements existants comme les syndicats ou les organisations politiques, et grâce à la mise en place de « forces locales de sécurité » au sein des usines, chantiers, villages, etc.

Sans minimiser le travail parlementaire de Marie-Claude Vaillant-Couturier, ce n’est pas à l’Assemblée que porte l’essentiel de son engagement. C’est d’abord dans son travail de témoin de la déportation, et dans son activité de secrétaire général de la Fédération démocratique internationale des Femmes.

Elle va, en janvier 1946, témoigner au procès de Nuremberg. C’est un témoignage, vous le savez qui est encore largement diffusé aujourd’hui, avec raison. C’est un témoignage qu’elle utilise politiquement. Serge Wolikow et Jean Vigreux, écrivant l’histoire de la Fédération nationale des déportés internés résistants et patriotes dont Marie-Claude va être la présidente dans les années 1980 ont amplement montré que la mémoire de la déportation ne peut être dissociée d’enjeux sociopolitiques, qu’elle a été entretenue et renouvelée au rythme de la vie politique tout autant que des avancées historiques. Ils rappellent que dans le manifeste qui appelle à la préparation du congrès fondateur, en octobre 1945, de ce qui deviendra la FNDIRP figure la phrase « pour sauver de l’oubli votre martyr et faire qu’il n’ait pas été vain. » Ils insistent sur le fait que les acteurs et les porteurs de cette mémoire, dans leur diversité, ont été engagés dans la vie de la cité et de la société, en portant des « références culturelles communes » autour notamment du patriotisme, des valeurs d’égalité et de justice sociale et de solidarité internationale ». Il faut bien avoir en tête cette dimension pour comprendre MCVC

« Je suis revenue de Nuremberg choquée et inquiète, écrira-t-elle en 1975 dans Le Patriote Résistant. J’ai retrouvé mes notes de l’époque. Déjà durant le voyage j’avais constaté, en traversant la Ruhr que les hauts fourneaux fonctionnaient alors que les nôtres étaient encore éteints ; la ville de Nuremberg, un bijou d’architecture médiévale était entièrement détruite, mais tout autour les usines n’avaient pas été bombardées. Cela me rappelait l’histoire du bassin de Briey pendant la première guerre mondiale où les de Wendel français et les de Wendel allemands se protégeaient mutuellement parce que leurs intérêts étaient communs.

Quant au procès lui même, je ne le trouvais satisfaisant ni sur le fond ni dans la forme. J’étais indignée de l’absence des dirigeants des grands Konzern allemands, les Krupp, Thiessen, Flick, Siemens, IG Farben, etc. qui, premièrement, avaient apporté leur soutien actif à la montée d’Hitler au pouvoir et ensuite avaient réalisé des profits monstrueux sur le sang versé et la vie de millions d’hommes, de femmes et d’enfants parmi lesquels les déportés raflés à travers l’Europe.

En ce qui concerne la forme, j’étais exaspérée par la procédure tatillonne. On cherchait la responsabilité de chaque accusé sur des questions de détails alors qu’il était indifférent de savoir si Von Papen, Schacht ou Speer avaient personnellement donné des ordres pour les massacres et les tortures. Ceux-ci se faisaient à une telle échelle, qu’il était impossible qu’ils aient pu les ignorer. Le racisme et la volonté d’exterminer les races dites inférieures faisaient partie de la doctrine nationale-socialiste énoncée dans de nombreux écrits officiels à commencer par Mein Kampf. En tant que dirigeants, ils étaient responsables ensemble de l’application de la politique nazie. A travers ces crimes il aurait fallu faire le procès du fascisme en montrant qu’ils étaient les conséquences d’une idéologie de transformer les hommes en bêtes féroces, bourreaux et victimes.

J’écrivais à l’époque “on ne peut s’empêcher de penser que si les choses traînent tellement en longueur, c’est parce qu’il ya certaines têtes que l’on voudrait sauver et qu’il sera plus facile de le faire en endormant l’opinion publique.” (…)

Il y a quelque chose de choquant dans la forme de ce procès, dans la longueur des débats. On ne semble pas attaquer le fond du problème, concluait-elle. Le Procès de Nuremberg ne sert pas à éclairer le peuple allemand. (…) Dans l’ensemble, les Allemands n’ont pas du tout conscience de leurs fautes. Ils considèrent qu’ils ont eu la malchance de perdre la guerre et que s’ils avaient l’occasion de recommencer, ils le feraient tout de suite… »

En mars 1946 encore, à Grenoble, salle du Vieux Manège, devant une salle comble composée essentiellement de rescapés des camps, elle critique toujours Nuremberg. « Quand on entre dans la salle de ces audiences, on à l’impression d’assister non pas au plus grand procès de l’histoire, mais à une ridicule comédie ».

Il faudra attendre longtemps avant qu’elle considère, parce qu’elle s’est battu pour au sein des associations de résistants et à l’Assemblée nationale que «  le fait que le tribunal de Nuremberg ait retenu la notion de génocide, de crime contre l’humanité est un progrès de la conscience humaine »…

Pour terminer je souhaite évoquer rapidement une dernière facette de l’activité de Marie-Claude, celle qui rendra sa vie de couple et de mère de famille encore plus difficile : son investissement dans la FDIF. Elle est la secrétaire générale de cette organisation féminine mondiale, qui existe encore et a fédéré au lendemain de la guerre les organisations féminines progressistes autour de l’antifascisme, de la paix et d’un certain type de féminisme, celui en cours à l’époque où le droit des femmes était balbutiant . Il s’agit de gagner l’égalité des droits l’accès à la culture, et, ce n’est que plus tard que le partage des tâches et des responsabilités dans la vie du couple, l’égalité des sexes, et encore plus tard, la possibilité de choisir en matière de sexualité, maternité, éducation des enfants prendront rang dans les revendications féministes.

Le noyau dur de la FDIF étant essentiellement composé de femmes communistes et résistantes la lutte pour l’émancipation est identifiée à celle plus générale de la défense des classes opprimées et masque, voir efface, une autonomie revendicative spécifique à leur combat. Mais il convient d’y ajouter une dimension cathartique qu’a parfaitement identifiée Denise Breton, déportée à Ravensbrück et future présidente de l’Union des femmes françaises, à la fin des années 1970.   Elle voit dans l’UFF et dans la FDIF au plan international, l’antidote nécessaire à la disparition de la solidarité féminine des camps que Charlotte Delbo constatait déjà lors du voyage de retour.

Marie-Claude dit « être revenue féministe des camps de concentration » et sans  doute ce sentiment est-il partagé par nombre de ses camarades. Mais ce féminisme ne doit pas être entendu dans sa signification actuelle. « C’est après avoir passé en prison et en camp trois ans et demi avec des femmes que j’ai appris à les connaître et que je les ai appréciées, dit-elle. Je trouve qu’elles ne sont pas pires que les hommes et qu’il y en a de très remarquables. Contrairement à ce qu’on peut imaginer, je ne pense pas que dans les camps d’hommes, les hommes étaient plus à la hauteur que les femmes ne l’étaient … »