Mal classée par erreur, nous retrouvons dans nos archives copie d’un courrier ancien auquel nous n’avons pas donné suite. À son auteure, nous exprimons nos excuses et l’expression de notre confusion. Voici donc la lettre que nous avons reçue de Madame Rachel Gebrowicz-Berthet :
« Charenton, le 31 octobre 2009
Mon père était abonné à votre journal depuis les années 1945-46, et j’ai repris cet abonnement depuis son décès en 1985. Il avait gardé précieusement les numéros relatant la tragédie de sa famille :
Il était l’oncle maternel de André Foussier, fusillé le 16 mai, avec quatre de ses camarades, au camp du Ruchard.
Chaque année, votre journal fait bien part de la cérémonie souvenir, mais vous n’avez plus depuis la Libération retracé la brève vie de ces jeunes gens. Pour ma part, je voudrais donc rappeler la vie de André Foussier.
J’ai assisté le 3 octobre à la présentation, à Saint-Pierre-des-Corps, d’un court-métrage émouvant de Dominique Maugars intitulé La Lanterne.
Ce court métrage raconte la vie d’un journal clandestin pendant la guerre, à l’aide des témoignages de survivants y ayant participé ou de descendants de familles ayant conservé des photos ou courriers. Je suis une de ces descendantes, d’une façon toute particulière :
André Foussier était l’unique enfant de la famille Foussier-Berthet. Étudiant en pharmacie à Tours, né en 1920, il adhère au Parti Communiste à l’âge de 15 ans ; il devient responsable des jeunesses communistes tourangelles et est un des créateurs du journal La Lanterne dont il assurait, avec ses amis, la reproduction et la diffusion. Il a été arrêté au domicile de ses parents, 6 bis boulevard Béranger à Tours, le 7 mai 1942 et fusillé le 16 mai. Le court-métrage raconte comment il a pu faire prévenir, en sortant du tribunal, ses amis. À la suite de ce décès, désespérés, ses parents se sont suicidés en août 1942. Leurs obsèques ont rassemblé une foule immense et silencieuse à Tours malgré la surveillance de la Gestapo.
Mon père, très proche de sa sœur et de son neveu dont il partageait les idées, et sa femme ont été révoltés et ont voulu faire « quelque chose », pour reprendre les termes de mon père. C’est ainsi qu’ils sont entrés en contact avec l’OSE1 qui cachait des enfants juifs, et ils m’ont recueillie en 1942, j’avais 2 ans.
Ils m’ont aimée, choyée et élevée dans le souvenir de ce neveu qu’ils n’ont jamais oublié. Ils m’ont adoptée quand j’avais une quarantaine d’années (mon père était mort en déportation, en 1943, et je suis revenue vivre avec ma mère à l’âge de 15 ans, tout en gardant un lien étroit avec mes parents adoptifs, mes deux familles étant restées très liées).
C’est ainsi que j’ai reçu en héritage les souvenirs de André Foussier et ses parents, que je conserve précieusement.
Avant la projection du film, Madame la Maire de Saint-Pierre-des-Corps avait organisé une petite réception émouvante et j’ai pu rencontrer Marcel Douzilly et Max Morin, deux des survivants de l’aventure de La Lanterne et des descendants de la famille d’Elisabeth Leport, également à l’origine de ce journal.
Je ne sais pas si vous pourrez publier ma lettre et faire revivre un instant la vie de André Foussier, et je ne sais si vous avez eu des échos de la présentation de ce court-métrage et du débat qui a suivi, avec une assistance nombreuse et attentive.
Je vous prie de croire que je lis toujours votre journal avec intérêt.
Avec mes sentiments les meilleurs.»
Rachel Gebrowicz-Berthet
1 « L’Œuvre de Secours aux Enfants » (OSE), association fondée en 1912, reconnue d’utilité publique en 1951, « développe ses actions dans le respect des valeurs humanistes juives et de la laïcité républicaine. » Elle fut très active au cours des années de l’Occupation.