Maillé (Indre-et-Loire), août 2015
Nous étions représentés aux cérémonies d’hommage aux massacrés de Maillé le 25 août 2015. Nous avons déposé une gerbe parmi les dizaines d’autres, devant le monument élevé en leur mémoire. L’appel des noms, prénoms et âge des 124 martyrs, dans un silence absolu, reste toujours aussi bouleversant.
Nous avons également décidé de publier des extraits de témoignages de deux rescapés du massacre : Maurice Sornin, beau-frère de notre amie Claudette Sornin, dont le père Baptiste a été massacré et Yvon Millory (17 ans à l’époque) survivant de la fusillade des cheminots. (Ce témoignage sera publié dans le prochain numéro de Chateaubriant).
En 1980, Ginette, la benjamine, demande à son frère ainé, Maurice, de lui raconter le massacre tel qu’il l’a vécu. Cela prendra la forme d’une lettre dont voici de larges extraits.*
« Ginette, aujourd’hui tu as 3 mois. Depuis 7h, papa est parti prendre son travail. Vers 9h, le voilà revenu avec son chef Thermeau et Sondag. Ils s’arrêtent au passage à niveau 193 pour prendre un verre. Nous embrassons papa pour lui dire bonjour car nous étions encore au lit. Papa embrasse maman et la petite, une dernière bise pour le bébé ; c’est toi qui as eu le dernier baiser de notre papa…. »
« Vers 9h45, des maisons brûlent dans le pays. Une quinzaine de soldats allemands arrivent du bourg au passage à niveau. Ils sont fous, ils tirent partout. Nous restons dans la maison. Deux soldats mettent un fusil mitrailleur sur la
voie et font feu en direction de Sainte-Maure. Un sergent entre à la maison, un blond, peut être 27 ans, révolver à la main, des grenades au ceinturon. Il nous dit de sortir. Maman lui demande pourquoi. Il s’assoit dans le fauteuil qui se trouve à droite en entrant dans la cuisine. Il n’est pas bien ; il a de l’écume à la bouche. Il doit être drogué. Beaucoup de maisons brûlent et le hangar qui est juste derrière chez nous. Il fait très chaud, plus l’incendie. Les flammes viennent vers les chambres. Des coups de feu partout. Notre petite copine Paulette Creuzon qui revient des champs avec son troupeau est tuée à 25m de chez nous ainsi que son chien « Pateau ».
Un deuxième soldat arrive, un grand brun d’environ 25 ans, une mitraillette à la main. Maman lui demande : qu’est ce qu’il y a ? Il est fatigué, il a soif. Je lui donne un reste de vin rouge. Je lui dis : je vais aller en chercher d’autre. Pour aller à notre petite cave, il faut sortir ; il me retient: Ne sors pas, les copains vont te tuer. Maman discute avec lui ; le premier soldat s’endort dans le fauteuil. Il y a eu un officier tué et un soldat blessé hier soir par les maquisards. Alors Maillé terroriste, tout le monde kaput. Morts…» (…)
« 12h45 Le brun dit à maman : sauvez vous quand nous partirons. Ils traversent le passage à niveau et partent dans le champ de blé en face de la maison. Quand ils arrivent au parc d’Argenson, nous sortons en courant direction Sainte-Maure : Maman, René, Alice, Jean, Jacqueline, Sarah la voisine, ses deux petits enfants et moi. Maman a pris juste un sac à main qui contient quelques pièces de monnaie, très peu (la paye est le 30). Le père Creuzon ramasse Paulette ; il nous dit : cachez-vous, ils nous tirent dessus. A 200m il y a cinq rangs de topinambours. Nous y arrivons, les balles sifflent. Maman me dit : et ta petite sœur qui dort. Il faut aller la chercher. Les flammes et la fumée traversent la rue, la chaleur presque insupportable, le soleil et le feu. « Vas-y Maurice, fait attention ». J’avais 17 ans, je courais bien ; toujours des coups de feu, une vache est tuée à côté de nous. Les soldats arrivent aux fermes du Pressoir et de la Cigogne et tuent et mettent le feu. Les avions anglais mitraillent un train. J’arrive à la maison, les portes et les fenêtres sont ouvertes ; tu es dans ton petit lit,
tu pleures. On étouffe. Je te prends dans mes bras, je sors. Un canon tire sur Maillé, un obus vient de rentrer dans le pignon de la ferme, un autre touche les pylônes caténaires, un bruit de ferraille, tout s’écroule. Je te protège des flammes ; après 100m de course, je tombe évanoui. Maman vient nous chercher. Nous courons vers la ferme des Godin. Suzanne est là, Denise est au passage à niveau 195, André dans une ferme. Nous continuons pendant 4km ; arrivé chez Marcel Blanchard, il faut rester là, des soldats allemands sont sur la route de Nouâtre, très proche d’ici.
Nous buvons de l’eau, la soif et la peur commencent à se faire sentir. Maman qui avait fait un civet de lapin ! Tout est resté sur la table. Nous pleurons. Nous nous couchons dans une petite pièce sur de la paille. Personne ne dort ; nous pensons à papa, à notre sœur et notre frère qui manquent. Le matin nous retournons vers Maillé : du feu et de la fumée partout. Prés du passage à niveau, deux gendarmes de Sainte-Maure nous interdisent de rentrer dans le pays. Maman et moi, nous regardons dans la maison en espérant trouver papa. Des coups de feu ont été tirés dans la cuisine, dans les chambres du haut. Rien. Nous ressortons : la chaleur et des odeurs incroyables. Deux Parisiens sautent au cou de maman. Monsieur Sornin est mort dans le bourg. Nous ne pourrons ramasser les morts que le soir. Papa est là, déchiqueté ; il a eu une rafale, aux yeux, à la ceinture, les doigts de pieds et mains brûlés par des plaquettes incendiaires. Notre tante Georgette et son fils Michel, nos cousins Martin-René, Renée, Raymond, Josiane et Danielle sont tous allongés.
Ginette, ton grand frère t’a sauvé la vie le vendredi 25 août 1944.»
Signé « Maurice »
* NB Précisons qu’à 300 mètres du bourg de Maillé passait la ligne de chemin de fer ParisBordeaux et qu’un passage à niveau protégeait la voie. Baptiste Sornin habitait la « maisonnette » du garde-barrière avec sa femme et ses neuf enfants âgés de 17 ans à 3 mois. Ce jour du 25 août 1944, une équipe de 8 cheminots travaillait au contrôle des voies près du passage à niveau.
Maillé (Indre-et-Loire), 25 août 2014
Une forêt de drapeaux : cent-vingt comptés au départ du cortège – mais combien déjà en place autour de la stèle funéraire ? Une multitude de parapluies qui s’ouvrent puis se referment : il y a foule à Maillé, village sauvagement anéanti le 25 août 1944 par des soldats nazis. Et le silence, un impressionnant et grand silence sur le cimetière du village reconstruit. Chaque année, la lecture des noms, prénoms et âges des cent-vingt-quatre êtres humains massacrés par l’armée nazie est un moment très fort. Pas de discours mais une énumération de vies volées et le silence des lieux, absolu.
Hommes, femmes, enfants, anciens, bébés ont été poursuivis dans leur maison, tués à bout portant. Le plus jeune n’avait que trois mois, le plus âgé 89 ans. Leurs corps furent brûlés dans l’incendie du village pilonné par un canon. Peu en réchappèrent. Les survivants rendent hommage à leurs morts chaque 25 août. Une association les regroupe et participe à l’enquête ouverte en 2006 (enfin !) par un procureur allemand soucieux d’identifier chaque homme ayant participé au massacre de Maillé (en Allemagne, la prescription des crimes de guerre n’existe pas).
Nous étions une quinzaine de membres de l’Association nationale des Familles de Fusillés et Massacrés de la Résistance française et de leurs Amis à assister à cette commémoration placée, cette année, sous la présidence de M Kader Arif Secrétaire d’Etat chargé des Anciens Combattants et de la Mémoire, le chef de l’État étant retenu par d’autres manifestations du souvenir (Ile de Sein, Paris). Mauricette Dechène a déposé une gerbe en notre nom ; Claudette Sornin, belle-soeur d’une victime, portait le drapeau de notre section départementale.
H.B. et J.C.
Maillé, 2013 – Massacre du 25 août 1944 : l’émotion intacte
Maillé est une commune de l’Indre-et-Loire proche de la ligne de démarcation, à 40 km au sud de Tours. Deux axes importants desservent le site : la voie ferrée Paris-Bordeaux et la RN 10 qui voient passer 100 000 soldats allemands au cours des 15 derniers jours d’août 1944. Les environs de Maillé sont alors le théâtre d’opérations de résistance ; l’abbé Henri Péan y est en relation avec différents réseaux et personnes engagées.
Que se passe-t-il donc, en ce mois d’août ? Par trois fois, coup sur coup, la ligne Paris-Bordeaux est sabotée près de Maillé. Le 11, un pilote canadien dont l’avion a été abattu reçoit aide et assistance, il est caché et parvient à s’enfuir. Le 21, les Allemands interceptent un parachutage d’armes à proximité ; perquisitions et fouilles dans le village de Draché ne donnent aucun résultat. Le 24 au soir, des accrochages entre un détachement FFI et des Allemands à bord de deux véhicules ont lieu sur le territoire de la commune de Maillé, faisant probablement des victimes du côté allemand. Dans la nuit, le sous-lieutenant Gustav Schlüter, responsable allemand de Sainte-Maure-de-Touraine, avertit le lieutenant-colonel Alfred Stenger, Feldkommandant de Tours, et reçoit vraisemblablement l’ordre d’exercer des représailles.
Le lendemain matin 25 août, jour de la libération de Paris, une escadrille alliée survole Maillé et bombarde un convoi militaire et des pièces de DCA de la Luttwaffe. Peu après, l’accès au village est bloqué par les forces allemandes. Partant du sud-ouest, une cinquantaine de soldats investit les premières fermes. Ils massacrent. Tout être vivant se présentant devant eux est abattu : hommes, femmes, enfants… et animaux !
Pénétrant dans le bourg, ils poursuivent la tuerie et incendient systématiquement. Les assassins sortent du village vers midi mais des sentinelles empêchent les survivants de quitter leurs éventuelles cachettes. Deux heures plus tard, une pièce d’artillerie de 88 pilonne le bourg : 80 obus ! Maillé comptait 60 habitations, 52 sont détruites.
Bilan humain de cette terrible matinée : 124 massacrés (le quart des habitants), tués par balle ou à la baïonnette, ou brûlés vifs dans les incendies. Les bébés ne sont pas épargnés. Pas de quartier ! Les victimes sont âgées de 3 mois à 89ans : 44 ont moins de 14 ans, 42 sont des femmes et 40 des hommes. Tous, assassinés sans pitié ! Les forces allemandes revendiquent cette opération, tentant de trouver un semblant de motif au massacre : « C’est la punition des terroristes et de leurs assistants !» Le 27 août 1944, devant le préfet d’Indre-et-Loire, F. Musso, le lieutenant-colonel Stenger reconnaît avoir donné l’ordre des représailles… tout en déclarant que ses consignes ont été outrepassées. Contrairement à Oradour-Sur-Glane, après la guerre, le village a été entièrement reconstruit, au même emplacement. En 1952, le sous-lieutenant Gustave Schlüter a été condamné à mort par contumace, par le tribunal militaire de Bordeaux, lors d’un procès sans témoin. Il est mort chez lui, en Allemagne, en 1965, apparemment sans avoir été inquiété ! Ces événements, et bien d’autres, soulèvent la seule question qui vaille : qu’est-ce que l’Homme quand il sombre dans la barbarie ? Aujourd’hui encore, les survivants demeurent traumatisés ; comment retrouver la sérénité ?
Ce 25 août 2013, même le ciel avait revêtu son manteau de deuil ! C’est sous une pluie battante que les autorités, le monde combattant, les victimes de guerre, les rescapés, les résistants et la foule se sont rendus au cimetière, précédés d’une centaine de drapeaux. Celui de notre association était porté par Claudette Sornin dont la famille fut touchée par le drame.
Terrible moment que celui de la lecture des 124 noms des victimes ! De très nombreuses gerbes ont été déposées. Mauricette Dechêne et François René Doublet déposèrent la nôtre. Une délégation allemande de Cologne participait à la cérémonie, ainsi que celle d’Oradour-sur-Glane, menée par son maire.
«Que cela ne se reproduise jamais», avait rappelé le maire de Maillé. Que son propos, si souvent entendu, réveille les consciences partout où, aujourd’hui encore, des hommes s’entredéchirent !
François René Doublet
Maillé, 25 août 2012
Recueillie à Paris deux semaines plus tôt, sous l’Arc de Triomphe de l’Etoile, la Flamme du Soldat inconnu a été ravivée à Maillé, en Indre-et-Loire, le 25 août, jour anniversaire du massacre perpétré dans ce village il y a soixante-huit ans : 124 Martyrs, enfants, femmes et hommes, âgés de 3mois…à 87ans!Jour anniversaire, aussi, de la Libération de Paris. Mise en écho symbolique et émouvante replaçant le martyrologe du village dans l’Histoire.
La cérémonie commémorative s’est déroulée dans le silence respectueux d’une douleur toujours présente : foule nombreuse et de toutes les générations, multitude de drapeaux (soixante-dix ! quatre-vingts ?) et des fleurs, toujours des fleurs dont celles de notre association. La lecture des âges et des 124 noms gravés sur le monument du cimetière est un moment d’étreinte bouleversante, comme partout où un tel hommage est rendu.
Ce même samedi, fut annoncée la parution de l’ouvrage « 25 août 1944, Maillé… Du crime à lamémoire. » Il est dû à l’ancien responsable de la Maison du Souvenir, Sébastien Chevereau. Il évoque « l’existence paisible du village avant la guerre et pendant l’Occupation – il relate la funeste journée du 25 août… » Il s’intéresse aussi « aux conséquences du crime : le deuil, la reconstruction, la mémoire et l’enquête judiciaire… » On le trouvera à la Maison du Souvenir – rue de la Paix – 37800 Maillé (tél : 02 47 65 24 89) ; il peut être commandé par courrier postal pour la somme de 20 €.
Maillé – La Touraine se souvient (2011)
L’énumération des noms des 124 martyrs massacrés à Maillé le 25 août 1944, hommes, femmes, enfants, de 87 ans à 3 mois, est toujours aussi poignante et écoutée dans le plus grand silence par une foule venue de toute la région. Ce 25 août 2011, était célébré le 67ème anniversaire de ce drame, en présence de nombreuses personnalités. Une gerbe a été déposée, au nom de notre association, au pied du monument commémoratif du cimetière de Maillé et deux bouquets à la stèle dédiée aux Cheminots Résistants de Maillé, par les petites-filles de notre amie Claudette Sornin dont le père figure parmi les massacrés.
HB